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Coordonne-moi plus fort


Après les plateaux de cinéma, les coordinatrices d’intimité s’attaquent au marché de l’art lyrique.


J’ai appris récemment sur les réseaux sociaux qu’une association d’artistes lyriques organisait une conférence autour des « scènes intimes » à l’opéra, animée par la première coordinatrice d’intimité en France : Monia Aït El Hadj. Ma grand-mère disait toujours :« il n’y a pas de sot métier ». Elle a eu le privilège de mourir de vieillesse sans connaitre cette nouvelle lubie.

Va te faire coordonner chez les Grecs 

Coordinateur d’intimité ? L’intrusion de cet oxymore managérial dans le domaine des dessous chic m’a laissée songeuse. A priori, les intimités se coordonnent très bien toutes seules. S’agit-il d’un assistant de réalisateur porno ? Un groom grognon apportant le gel, les capotes et le gode sur le set d’un threesome tourné dans un studio de Budapest ? Une femme préparatrice en érection ? Fichtre. Mon imagination est très hétéronormée… En réalité, « la coordinatrice d’intimité est une personne multidisciplinaire qui accompagne la mise en scène et les interprètes dans la création des scènes intimes (comme la nudité, la sexualité simulée, des violences sexuelles, ou de manière plus large tout ce qui implique un contenu exposé ou intime…) ». Tout un programme. Le consentement, c’est ceux qui en parlent le plus qui le respectent le moins.

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Sans surprise, cette profession de grue, lancée à l’assaut des secteurs culturels de moins en moins subventionnés vient des Etats-Unis… Dans leur formation, des choses aussi utiles que la queer theory, la psychanalyse, les droits des LGBT, ou le bdsm dans l’underground new-yorkais. Des sujets qui s’étudient en bibliothèque quand on n’a pas de vie… Vous connaissiez l’histoire du Belge qui s’occupe de sa femme dans une partouze ? Sa bêtise est désormais pulvérisée par la coordinatrice d’intimité blonde qui n’assume pas son côté voyeur. Les Anglo-saxons n’en manquent pas une. Vivement le retour de la Saint-Barthélémy. 

On se coordonne et on se fait une bouffe ?

Je raconte ça à une amie et collègue soprano à l’étranger. Elle me répond, atterrée, qu’un ténor d’une tête et demie de moins qu’elle lui a demandé l’autorisation de poser sa main sur son épaule pendant qu’elle chantait le second air de Donna Anna dans Don Giovanni « ne me dis pas, mon amour, que je suis cruelle pour toi. » C’est une wagnérienne, elle en impose. Quand une chanteuse d’1m80 et 130 décibels parle, les ténors légers écoutent : « Si tu as un rapport à ton corps tellement effacé que tu imagines me violer de l’épaule, que fais-tu dans ce métier ? Je suis capable de réagir dans un jeu de scène si tu vas trop loin. »

Construire une technique vocale, c’est libérer une énergie et une musculature, du périnée au diaphragme. Il vaut mieux être à l’aise avec son corps et incarnée pour chanter. On fait rarement mieux que l’incarnation et la boxe pour répliquer en cas de problème de consentement. Ne parle-t-on pas de « bêtes de scène » pour qualifier le caractère instinctif que doit avoir un artiste ?  « Il ne s’agit pas de censurer ou d’être une sorte de police des bonnes mœurs, mais de s’assurer que les interprètes se sentent en sécurité en ayant pu exprimer leurs limites et donner clairement leur consentement tout au long du processus créatif. Le but est de faire se rencontrer ce qu’a imaginé un réalisateur et ce qu’est prêt à jouer un artiste. » Que reste-t-il de la spontanéité d’un corps quand il faut une tierce personne pour assurer le geste de l’un et le consentement de l’autre ?

Jésus a dit : « Coordonnez-vous les uns les autres »

Les coordinateurs d’intimité sont avant tout le reflet d’une société dont la peur des femmes, prédominante, amène des psychorigides à se prémunir d’hystériques imaginaires. Vite, des juristes tenant la chandelle sur un tournage pour éviter les procès ! Qu’il puisse y avoir des problèmes de consentement dans l’art, qui en doute ? Sharon Stone a par exemple dit qu’elle ignorait qu’on voyait son sexe dans Basic Instinct. Il faut parfois de la réalité pour rendre crédible une scène. Portman a vraiment été tondue pour V comme vendetta.

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Dans l’Opéra, cela se double d’une contradiction majeure : une sur-représentation de scènes de sexe dans des mises en scène contemporaines parfois pornographiques, et un attrait pour des voix de moins en moins charnues et puissantes, comme si l’oreille souhaitait évacuer l’existence des femmes dans un art où elles sont pourtant reines. Voilà qui devraient intéresser Mona Chollet bien plus que les sorcières. Juste avant que Charcot torture ses patientes à la Salpêtrière, Donizetti créait Lucia di Lamermoor, dont le livret explique bien, contrairement à la médecine de l’époque, pourquoi une femme bascule dans la folie, ce qu’est un viol conjugal, la manipulation et « l’emprise ». Plus féministe qu’un contre-ut écrit à une époque où les théâtres étaient peuplés de demi-mondaines pour défendre sur scène des bourgeoises victimes du patriarcat, tu meurs.

La levrette est une cascade comme une autre

« Notre métier est proche de celui du coordinateur de cascade. D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée de personne de tourner une cascade sans préparation ! »  Paloma García Martens m’aura achevée avec cette comparaison. Sauter d’un immeuble, simuler une levrette, dans les deux cas, les risques sont-ils vraiment les mêmes ? Seul Belmondo aurait sérieusement pu répondre à cette question.

Et de poursuivre : « Ces scènes sont encore souvent laissées à la totale improvisation. Le but pour un interprète n’est pas de jouer sa propre intimité ou sexualité sur un plateau, mais celle de son personnage. Or, il est impossible de travailler cet aspect de la narration lorsque ces scènes sont improvisées ou lorsque l’on prend juste quelques minutes avant le tournage pour s’en parler. » Nous travaillons tous nos personnages avec les détails les plus ténus possibles. La sexualité ne fait pas exception.

Je laisse là cette chronique du monde contemporain tel qu’il déraille, j’ai un rendez-vous de coordination personnelle qui m’attend.



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Chanteuse lyrique

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