Le 25 mai à Paris-La Défense, un soldat en patrouille Vigipirate était blessé à coups de cutter à la gorge ; trois jours plus tôt, à Woolwish, dans le Sud-Est de Londres, un militaire britannique mourait en pleine rue, saigné au hachoir ; le 19 septembre 2012, à Sarcelles, dans le sillage des assassinats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse et à Montauban, une charge de faible puissance avait explosé dans un commerce juif, sans faire de victimes. Alexandre, Michael, Jérémie, les auteurs ou coauteurs de ces actes criminels sont tous des convertis à l’islam – respectivement blanc, originaire du Nigeria et antillais.
L’islam, en Occident, a un problème avec ses convertis. Lesquels sont de plus en plus nombreux – en France, ils seraient entre 100 000 et 200 000. Encore faudrait-il que les musulmans « de souche » reconnaissent l’existence de ce problème, ce qui n’est pas une mince affaire : celui qui embrasse la religion de Mohamed ne saurait être mauvais. Certes, tous les convertis ne sont pas candidats au pétage de plombs. Beaucoup font leur « life » sans enquiquiner personne. La conversion à l’islam implique néanmoins un changement de paradigme existentiel, qui peut aboutir à un rejet plus ou moins net du mode de vie occidental, quand ce rejet n’est pas le principal moteur de la conversion. Devenir musulman, c’est bien souvent basculer dans l’inconnu.
Yasin Frédéric[1. Addition de ses deux prénoms, celui qu’il s’est choisi et celui de son baptême.], 32 ans, habite Villeneuve-le-Roi, dans le Val-de-Marne. Ce chef de projet dans des entreprises d’informatique s’est converti en 2008. « Je l’ai fait tout seul, chez moi, explique-t-il. J’étais un catholique un peu perdu dans la pratique de la foi. Je me suis connecté à un site de conversion, j’ai récité phonétiquement la profession de foi. J’ai fait le bain spirituel, dans ma douche. Tu en ressors comme le nouveau-né du ventre de sa mère. À cette occasion, Dieu transforme tous les péchés en bonnes actions. Mes parents m’ont trouvé plus apaisé. » L’intéressé décrit cet acte de foi non comme une conversion mais comme une « reconversion », car « à l’origine le monde était musulman, ce sont les cultures qui ont fait que certains sont devenus chrétiens ou juifs ». Lecture pour le moins audacieuse de l’Histoire.
Ce jeune homme portant petite barbe et, pour le reste, au diapason du citadin s’équipant chez Gap ou H&M, marié à une convertie, père de deux enfants, suit une ligne somme toute cohérente. « Un musulman peut commettre des atrocités, dit-il. Celui qui donne un associé à Dieu sort de la foi, celui qui tue ne sort pas forcément de la foi. Si j’avais eu connaissance des intentions meurtrières de Merah, je lui aurais dit : « Mais, mon frère, tu es fou, tu ne vas pas tuer des innocents ! » Je lui aurais opposé des arguments d’ordre théologique. S’il doit y avoir violence, c’est sur un champ de bataille ou pour se défendre d’un agresseur. »
On pense alors que la conversion à l’islam requiert une solide constitution mentale. Or, c’est l’inverse qui se produit : l’islam est la voiture-balai des « damnés de la terre ». Ce prisme victimaire n’est pas pour déplaire aux héritiers du tiers-mondisme, tenants d’un islam révolutionnaire, porteur de « justice » et d’« égalité ». Ces redresseurs de torts ont beau passer pour d’horribles impies aux yeux d’Alexandre et de ses coreligionnaires radicaux aux atours salafistes, ils n’en ont cure, mobilisés par leur engagement de tous les instants contre l’« islamophobie[2. L’islamophobie, terme problématique, existe cependant et prend la forme d’un racisme antimusulman, dont des femmes, agressées verbalement ou physiquement, sont les principales victimes. Ce fut notamment le cas en mai et juin à Argenteuil : une jeune fille de 17 ans et une jeune femme de 21 ans, toutes deux voilées, ont été passées à tabac.]»: à leurs yeux, le musulman est la figure rêvée du dominé, le damné de la terre qui justifie que la lutte continue.[access capability= »lire_inedits »]
Il semble en tout cas que, dans les mosquées, on soit peu regardant sur la « marchandise ». Bonne fille, comme le fut jadis l’Église catholique, l’islam accepte le tout-venant sous son toit. « On n’ôtera pas de la tête à un musulman qu’il faut accepter la conversion d’un autre », constate Farid Abdelkrim, un Nantais, ex-responsable du département « jeunesse » de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), la confrérie proche des Frères musulmans dont il a démissionné en 2005 et qu’il décrit comme étant aujourd’hui « à l’agonie ». Devenu comédien, il présente en France son spectacle intitulé « One Man « Halal » Chaud », qui tourne en ridicule la propension d’une partie des fidèles à recouvrir les objets et actions les plus improbables du label islamique. « Certains imams, observe Farid Abdelkrim, accueillent les convertis par conviction, d’autres veulent faire du chiffre, se disant qu’ils l’emporteront sur les autres religions par le nombre. »
Cette allégresse sans bornes donne lieu à des « aberrations ». « Une amie de ma femme s’est convertie à l’islam dans une mosquée, raconte-t-il. La profession de foi récitée, l’imam lui a dit qu’elle venait d’accomplir la première moitié de la conversion et qu’il lui restait à accomplir l’autre moitié en choisissant un mari parmi les musulmans de l’assistance. Une démarche totalement contraire à l’islam. »
Le « marché » de la conversion, on le voit, est des plus ouverts et propice au grand n’importe quoi. « Fondamentalement, l’islam sunnite est une religion décentrée, sans clergé », rappelle Camel Bechikh, membre pour le moins atypique de l’UOIF, proche du député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan et président de Fils de France, une association qui prône l’acculturation aux mœurs françaises des « issus de », le noyau de la foi demeurant. « La conversion, reprend-il, c’est quelque chose d’un peu sauvage, dans tous les sens du terme. On peut se convertir dans sa cité, avec sa bande de copains. En grandissant, les musulmans de la bande se réislamisent et, à leur contact, certains non-musulmans deviennent musulmans. »
Rien de plus facile, donc, que de devenir musulman. Reste à savoir quelles en sont les conséquences. L’acquisition de la foi dans le Dieu du Coran, certes. Mais pas seulement. Cela revient aussi à endosser un ensemble de combats. Le converti, sauf à se couper de sa nouvelle « famille », ne peut ignorer ce qui s’y dit entre poire et fromage, sur la Palestine qu’il faut libérer du « joug d’Israël », sur l’Afghanistan, l’Irak et le Mali, envahis par des « mécréants ». Tous les imams ne tiennent pas sur ces sujets des discours enflammés, la plupart, suppose-t-on, sont relativement modérés, mais tous doivent au moins manifester leur préoccupation pour les « musulmans opprimés » sous peine de perdre tout crédit auprès des jeunes. Certes, cela n’est pas en soi illégitime, chaque communauté religieuse compatissant avec ses persécutés. À ce détail près que les malheurs qui frappent de diverses manières les musulmans, dans les territoires occupés de Palestine ou en Birmanie, sont réduits à un récit manichéen, dont la transposition à la France, avec ses « bavures », ses « discriminations », son histoire coloniale et ses supposées menées « néocoloniales », est pour le moins explosive, nourrissant un antisémitisme de réflexe et, dans le pire des cas, des analogies meurtrières.
Il n’est donc guère surprenant que, dans un processus d’inversion des rôles et des valeurs, des convertis de plus ou moins fraîche date souhaitent prouver de quoi ils sont capables en s’attaquant à un soldat français considéré comme l’assassin des « frères » afghans ou maliens, puisqu’il est l’héritier du policier français procédant à des « rafles » ou du fonctionnaire vichyste.
Yasin Frédéric tente d’expliquer l’origine de ces « dérives » : « Les convertis qui commettent des actes de violence sur des militaires de leur propre pays, sur des juifs, qui s’engagent dans le djihad armé, n’ont, à la base, pas une vie très simple. L’approche binaire qu’ils trouvent dans l’islam, le licite et l’illicite, ne va pas les surprendre. Là-dessus, des imams font preuve de virulence dans leurs prêches pour toucher les cœurs. J’ai fréquenté des mosquées salafistes, mais je n’ai jamais été témoin d’appels au meurtre. Je peux toutefois comprendre la haine de certains convertis, à qui il est demandé de faire le bien et de combattre le mal : Israël, la Palestine, les Touaregs, les rebelles d’Irak et d’Afghanistan. On est imprégnés de cette actualité. Certains se demandent si les services de renseignement ne laissent pas des crimes se commettre dans le but de diaboliser l’islam. »
Théories du complot, haine rentrée, haine libérée : pour le novice qui veut prouver la profondeur de son appartenance, faire la part des choses est encore plus difficile que pour ses coreligionnaires de naissance. Notre interlocuteur s’y emploie à sa manière, en limitant son « problème juif » à un terrain dont on ne sait s’il faut le qualifier de théologique : « Les juifs ont trahi Jésus et les prophètes, mais comme disent les antisémites, j’ai des amis juifs, comme l’un de mes plus proches collègues, avec qui je m’entends très bien. Il ne me viendrait jamais à l’esprit de faire du mal à un juif. » De tels propos, qui étaient autrefois le marqueur de l’antijudaïsme catholique, font désormais partie de la vulgate islamique : on en trouve quelques échantillons dans des biographies du prophète Mohamed, disponibles en certaines librairies. Mais l’imposteur a un visage contemporain : celui d’Israël. Attention, pour Yasin Frédéric, ce combat est strictement spirituel : « On prie Dieu qu’Il libère la Palestine et vienne en aide aux Palestiniens. » Pas de djihad armé en vue, Yasin s’en tient à la guerre sainte intérieure : « Le djihad sert à m’améliorer. J’ai une femme et deux enfants, c’est ici que je dois mener ma vie de musulman. »
Président du Collectif des musulmans de France (CMF), Nabil Ennasri est un jeune tribun, fort actif et très suivi sur les réseaux sociaux[3. Nabil Ennasri est l’auteur de L’Énigme du Qatar, préface de Pascal Boniface, IRIS Éditions et Armand Colin, 196 pages.]. Il tente d’ « expliquer », non de « justifier », précise-t-il, la radicalisation meurtrière de certains : « Il y a de multiples causes : l’éducation défaillante, les moyens de l’État qui font défaut. Et puis, aussi les images de corps de civils déchiquetés qui nous parviennent du Mali. Par sa politique étrangère, la France est en partie responsable de ce qui se passe dans ce type de pays, et son regard sur le conflit israélo-palestinien est biaisé. » Biaisé par quoi ? Sur son « mur » Facebook, où il occupe un statut de « personnage public », Nabil Ennasri dénonce volontiers le « néo-colonialisme de la France » et la politique « criminelle » d’Israël. Pour lui qui représente l’élite, c’est une façon d’« encadrer » le débat sur ces questions épineuses et d’éviter qu’il dégénère en actes incontrôlés. Si ses prises de position ne visent qu’à promouvoir la concorde civile, on se rassure.
Autant dire que, face aux passions qui les assaillent, et parfois les égarent, les convertis sont bien seuls. Que faire ? Quand la demande d’islam, qu’elle émane de néo-musulmans ou de « born-again », est aussi forte et sujette à de telles embardées, le rôle des instances musulmanes est peut-être de la canaliser. Elles pourraient, par exemple, édicter une sorte de guide officiel et apaisé de la conversion. Bobards de communicants, dira-t-on, contraires de surcroît à la nature « décentrée » de l’islam sunnite. Sauf que la théologie, c’est aussi de la bonne communication.
Les Français non-musulmans, dont on veut croire qu’ils s’imaginent un avenir commun avec leurs compatriotes musulmans et réciproquement, n’en demandent pas plus : de la bonne com’. Autrement dit, des raisons de se convaincre que l’islam n’est pas une religion conquérante, quand l’augmentation des conversions leur donne une tout autre impression. Sans aller jusqu’à décréter un moratoire sur les conversions, les autorités musulmanes seraient inspirées d’annoncer urbi et orbi qu’ayant déjà fort à faire avec les extrémistes de souche musulmane, elles ne sont pas intéressées par de nouveaux fidèles rejoignant l’islam pour donner libre cours à leur vindicte antifrançaise et antisioniste – qui vont généralement de pair.
Las, on en est loin, alors que la « politique islamique » se fait toujours à la corbeille palestinienne – c’est-à-dire anti-israélienne. On dirait au contraire que la seule cause capable de fédérer des instances minées par d’incessantes querelles soit la défense du peuple palestinien, devenue un produit d’appel agissant sur la conscience des croyants et des futurs croyants. Cela n’a pas échappé à l’UOIF. Lors de son dernier congrès, fin mars au Bourget, une grande partie de l’espace jeunesse était consacré à l’expression solidaire avec les souffrances endurées par les Palestiniens. Qui résisterait à cet islam humanitaire ?[/access]
*Photo : apparition voilée de la chanteuse Diams sur TF1 en octobre 2012, après sa conversion à l’Islam
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