On le sait, rien n’est plus conformiste qu’un certain anticonformisme prompt à chasser le « bien-pensant » et la « pensée unique » partout, suivant une attitude tout aussi pavlovienne que la traque progressiste des « néo » – « réacs » ou « fachos », c’est selon.
Par exemple, s’opposer à la modernité en invoquant un Âge d’or antédiluvien ne fait qu’inverser le mythe du Progrès, en le transposant dans le passé. Dans son vigoureux petit essai Ecrire contre la modernité, l’urbaniste Pierre Le Vigan évite adroitement cet écueil et avertit d’emblée son lecteur : pour penser contre la modernité, encore faut-il être contre, tout contre elle. Autrement dit, retourner son idéal d’autonomie en l’expurgeant de ses errements individualistes.
Conscient que « toute époque moderne sécrète ses antimodernes », Le Vigan se dit contre-moderne – et non antimoderne-, farouchement attaché à l’émancipation des hommes mais aussi à la défense de leurs racines, l’une n’allant pas sans l’autre, chose que l’on a tendance à oublier depuis le triomphe des Lumières. Dans un avant-propos éclairant, il détache d’ailleurs Rousseau de ses contemporains utopistes et retrace la généalogie écossaise des Lumières, qui doivent beaucoup à Smith, Hume et Ferguson.
Au fil d’une quinzaine de portraits érudits, de Pascal à Michéa en passant par André Gorz et le maquisard Jean Prévost, l’auteur rappelle que « les penseurs des Lumières ne croient pas seulement dans des progrès et des libertés – auquel cas il faudrait les suivre- mais dans Le Progrès et La Liberté » avant de dérouler sa plume affûtée.
En quête d’un universel concret, il pourfend conjointement l’homo festivus de Muray, l’homme-marchandise de Marx et en appelle avec Alain Finkielkraut à la phronésis (prudence) grecque contre l’hubris (démesure) du consommateur nomadisé.
Certes, Simone Weil, Chesterton, William Morris, Debord, Jaime Semprun et tant d’autres esprits rebelles manquent à l’appel mais ce travail salutaire de vulgarisation mériterait de figurer dans les meilleures librairies. À commander ici !
Ecrire contre la modernité, Pierre Le Vigan (La Barque d’or)
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