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Contre le RN: les incendiaires de luxe ou bas de gamme…

Le billet politique de Philippe Bilger


Contre le RN: les incendiaires de luxe ou bas de gamme…
La chanteuse et comédienne Marianne James a pris position contre le RN © NIVIERE/SIPA

Tout ce que notre pays compte de sommités intellectuelles ou de célébrités trouve urgent de faire savoir au bon peuple que c’est très mal de voter RN.


À partir du moment où son choix politique est fait pour le 30 juin et le 7 juillet, on a tout loisir pour questionner la périphérie de la campagne des élections législatives. Parce que, contrairement à ce que croient certains, la démocratie ne consiste pas seulement à avoir le droit formel de s’exprimer, dans une égalité médiatique apparente, mais devrait profondément assurer, jusqu’au jour du scrutin, un équilibre tant officiel qu’officieux, aussi bien réglementé que spontané. On en est loin. Certes, par rapport au second tour de l’élection présidentielle ayant opposé Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen, qui a été, de mon point de vue, un vrai scandale républicain, le climat d’aujourd’hui est beaucoup moins choquant. Je me sens d’autant plus libre pour interroger les distorsions actuelles que je suis persuadé qu’un rouleau compresseur trop ostentatoirement hostile contribue au succès de la cause adverse. À moins d’un revirement absolu, il me semble que c’est ce qui se déroule avec le RN, loin devant Renaissance et plus modérément devant le Nouveau Front Populaire (NFP) qui sauve les meubles grâce à son unité superficielle.

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Marianne James et Marcus Thuram semblent presque se réjouir de la situation

Il n’empêche que, si on avait droit à l’ironie, il est frappant de voir comme les périodes de danger réel, surestimé ou fantasmé font pulluler les incendiaires de luxe ou bas de gamme et, pour ces derniers, des personnalités qui profitent des circonstances pour se constituer une petite gloire personnelle. Je songe notamment à Marianne James qui conseille de ne pas voter en faveur du RN parce que celui-ci ne connaîtrait pas l’Histoire de France. Sans pouvoir déterminer au nom de quel savoir et quelle légitimité elle s’exprime avec tant de condescendance, elle représente un exemple de ces anonymes ou de ces artistes sortant de leur lumière très spécifique pour une aura résultant d’un engagement conjoncturel et confortable. Marcus Thuram a perdu son énergie sportive en nous donnant un conseil qu’on ne lui demandait pas. Lui aussi s’est cru autorisé à nous dissuader du RN ! On a l’impression que l’actualité offre, à ces humanistes fortuits, le rôle éphémère de directeurs de conscience, la formidable opportunité de se muer en donneurs de leçons, en guides, en vigies, de faire passer leur dénonciation pour une vérité objective à suivre à la lettre. Ils se poussent du col en changeant de registre. Cette troupe qui surgit, individuellement ou en masse, dans les temps de crise effervescents, est composée de ceux que je nomme les incendiaires bas de gamme. Ils jettent leur huile sur un feu dont on finit par se demander s’il ne les réjouit pas.

Épidémie de tribunes alarmistes et de pétitions

Mais il y a aussi des incendiaires de luxe qui, certains de leur importance, emblèmes médiatiques contestables mais perçus irremplaçables, projettent sur une réalité qu’ils divisent, les lumières pour leur camp, les ombres contre le RN, un soufre dévastateur.

L’incarnation la plus achevée de cette pente est présentée par le journal Le Monde qui, en particulier dans son numéro daté du 23 et 24 juin, a fait preuve d’une totale hypocrisie démocratique, consistant à aggraver des orages qu’on prétend redouter, en mettant en œuvre une démarche poussant jusqu’à la caricature la description d’un futur qualifié systématiquement d’alarmant. La trinité dont ce quotidien, en l’occurrence, nous gratifie, est faite d’information, de l’expression substantielle de son opinion – je n’y trouve rien à redire d’autant plus que cette dernière est chaque jour parfaitement et tranquillement prévisible – d’une sorte d’humanisme mou et progressiste insoucieux des peurs et des attentes populaires. Mais surtout, dans le numéro concerné, d’une considérable dose d’excitation, tant par les analyses des journalistes que par les intervenants et les tribunes choisis. En effet, comme citoyen soucieux de l’éthique républicaine, j’estime que cette incitation constante à sortir le RN – contre la réalité parlementaire et la dédiabolisation opérée par la fille contre le père – de l’espace démocratique est perverse, créatrice de troubles et de désordres. Elle est de nature à valider les oppositions même violentes au vote majoritaire et, pire, la guerre civile au nom de l’idéologie, des suspicions et des procès d’intention.

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Il y a une responsabilité morale de ce média, et de tous, à ne pas user de l’information et de l’opinion pour attiser un feu dont la France n’est que trop friande. Comme si elle était incapable d’accepter, en politique, des contradictions paisibles. Le Monde qui se veut une référence en est très loin sur ce plan.

Il n’est pas seul. Quand on consulte et lit chaque jour Mediapart comme moi, on est effaré par une politique de la haine : obsessionnellement les mêmes cibles, le RN, la police, les mêmes apologies, l’extrême gauche, les délinquants toujours victimes avant d’être coupables ! La dernière recrue dans ces incendiaires somptuaires est Dominique Strauss-Kahn qui, oubliant ses errements privés et la social-démocratie dont il avait été un représentant emblématique, a appelé à voter pour le Nouveau Front Populaire risquant d’être dominé par LFI irresponsable sur le plan économique et immoral car antisémite. Surprenant arbitrage !

Croire que l’ironie serait décente sur de tels sujets n’est pas acceptable. Ces incendiaires de luxe ou bas de gamme démontrent qu’il existe une certaine manière lamentable de faire monter le RN : en étant des pompiers pyromanes.


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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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