L’éviction d’Alain Finkielkraut de LCI est un signe des temps, et un très mauvais signe. Le 11 janvier, son intervention, consacrée à l’affaire Duhamel, s’est muée en comparution et exécution immédiates. À partir de quelques phrases extraites de leur contexte, et répliquées des milliers de fois par la magie noire des réseaux sociaux, on l’a accusé de complicité avec l’abus sexuel d’un homme sur son beau-fils adolescent. Crime qu’il a très clairement condamné, mais qu’il a eu le tort de vouloir comprendre, en essayant notamment de réfléchir aux délicats problèmes posés par la notion de consentement.
Mais on nous dit désormais que comprendre, c’est justifier, que réfléchir, c’est trahir. Au-delà de cet épisode, nous voyons advenir une dictature de l’émotion qui entend censurer tout ce qui n’est pas elle – et y parvient largement. Face au mal, quel qu’il soit, seules la compassion et l’indignation sont tolérées.
Ironiquement, l’émission de LCI avait pour titre « Finkielkraut en liberté ». Sa suppression est l’un des multiples signes de l’affaissement de cette liberté de parole qui est aussi celle de penser. On ne pense pas sans prendre le risque de choquer, blesser, incommoder. Et aucun sujet ne devrait être soustrait à la réflexion, au motif qu’il met en jeu des victimes et des souffrances.
La « libre circulation des pensées et des opinions » garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est la condition de la conversation civique et de la controverse civile.
Peu importe que nous partagions ou non les positions d’Alain Finkielkraut. Nous ne voulons pas d’une société terrorisée par quelques escouades numériques, ni d’un débat public rythmé par les dénonciations, exclusions et bannissements.
L’espace public, c’est le lieu où la raison l’emporte sur l’émotion. Nous réclamons donc le droit à l’examen rationnel des choses. Au-delà de la personne d’Alain Finkielkraut, ce qui est en jeu, c’est bien notre civilisation fondée sur la passion de discuter et de questionner.
Signataires
Laura Bossi, neurologue
Rémi Brague, philosophe
Jean Clair, écrivain, membre de l’Académie française
Benoît Duteurtre, écrivain
Marcel Gauchet, philosophe
Patrice Gueniffey, historien
Claude Habib, professeur émérite de lettres modernes
Bérénice Levet, philosophe
Élisabeth Lévy, journaliste
Georges Liébert, éditeur, essayiste
Pierre Manent, philosophe
Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française
Mona Ozouf, historienne
Philippe Raynaud, philosophe
Pierre-Henri Tavoillot, philosophe
Pierre Vermeren, historien
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !