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Etudes décoloniales, «intersectionnalité», indigénisme: la face cachée du progressisme

Petit plaidoyer contre l’absurdité progressiste


Etudes décoloniales, «intersectionnalité», indigénisme: la face cachée du progressisme
L'ancienne ministre de l'Education Najat Valaud Belkacem © BAZIZ CHIBANE/SIPA Numéro de reportage: 00647422_000001

A ne pas confondre avec le Progrès, le progressisme n’est que l’adulation du contre-pied systématique. C’est la gauche régressive qui s’affuble le plus souvent de cette idéologie du « neuf », en réalité délétère.


Ce que l’on nomme couramment « progressisme » est une absurdité, et bien souvent une monstruosité.

Non qu’il faille nier ou refuser par principe le progrès ! J’en donnerai 3 exemples. L’abolition de l’esclavage est un progrès fabuleux, une conquête extraordinaire de la conscience, de la dignité et de la liberté (même si hélas elle n’est pas encore acquise partout). Pour le prix d’un sandwich, je peux télécharger en quelques minutes l’intégrale des symphonies de Beethoven jouées par un des plus grands orchestres et dirigées par l’un des meilleurs chefs. Internet donne aux habitants des villages les plus isolés l’accès à un foisonnement intellectuel sans équivalent depuis le Musée d’Alexandrie, et les réseaux sociaux leur permettent d’y contribuer. De quoi s’émerveiller !

Mais justement. Le très mal nommé « progressisme » – j’insiste sur les guillemets – est l’antithèse radicale de tout véritable progrès.

Fascination de la nouveauté

Le conservateur et le réactionnaire sont parfois les adversaires du progrès, mais ils ne sont pas ses ennemis. Ils peuvent pécher par excès de prudence, par attachement à leurs habitudes, ou par un trop-plein de certitudes, mais ils ne refusent pas le progrès en tant que tel. Après tout, le conservateur est simplement celui qui tient absolument à préserver les progrès déjà réalisés, et le réactionnaire se réfère à une période dont il considère qu’elle serait un progrès comparée au présent, et qu’elle en était un par rapport à ce qui la précédait. S’ils rêvent de permanence et de stabilité, c’est bien parce qu’ils y voient un progrès par rapport aux incertitudes actuelles, et qu’ils considèrent qu’il faut un socle solide sur lequel s’appuyer pour pouvoir bâtir et…. progresser !

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Le « progressiste », lui, n’est jamais l’adversaire déclaré du progrès – et il s’appuie sur cette acceptation de façade pour justifier le nom qu’il usurpe – mais il en est systématiquement l’ennemi acharné. Car le « progressiste » n’est pas mû par le désir du progrès mais par celui de la nouveauté, et par le rejet de toute tradition.

Il est fasciné par ce qui est neuf non comme un enfant curieux qui découvre, mais comme un enfant gâté à qui il faut sans cesse de nouveaux jouets pour tromper son ennui, né du manque de sens de son existence. Là est la clef: blasé, revenu de tout, il se vante de ne croire en rien, feint d’être plus malin que les autres parce qu’il voit toujours ce qui ne va pas, alors qu’il est seulement plus amer, et profondément envieux. Il n’admire pas, il s’entiche, reproche au monde la moindre imperfection mais pardonne les pires horreurs à ses idoles du moment.

Ne sachant apprécier ce qu’il a, il se lasse de ce qu’il désire dès qu’il l’obtient. Ainsi, aussitôt un progrès est-il accepté de tous que le « progressiste » s’en détourne. Il veut toujours plus, ou autre chose, sans jamais pouvoir définir ce qu’il considérerait comme l’état idéal à atteindre – car dès qu’il l’imagine atteint, cet état cesse de lui sembler désirable. Il est l’ennemi du progrès, puisqu’il est l’ennemi de tout progrès qui entrerait dans les mœurs.

Car le « progressiste » hait la tradition. Non parce qu’il la juge mauvaise pour des raisons rationnelles ou éthiques (elles ne sont pour lui que prétexte), mais simplement parce qu’elle est. Tel un adolescent boudeur qui croit penser par lui-même en prenant systématiquement le contre-pied de ses parents, le « progressiste » est incapable de comprendre que le contraire d’une erreur n’est pas forcément une vérité, et que refuser le sur-place n’impose pas d’aller n’importe où sans réfléchir.

Marcher… dans la bonne direction

Le progrès, le véritable progrès, est tension de la volonté, victoire de l’intelligence, conquête de la conscience, et non soumission passive à un hypothétique « sens de l’histoire ». Il est sens du kairos, le moment opportun où les choix sont possibles, et non flottement dans l’air du temps. Il ne consiste pas à seulement se mettre en marche, mais à avoir le courage et la lucidité d’aller dans la bonne direction malgré les obstacles. Là où le « progressiste » célèbre le changement, les artisans du progrès veulent l’amélioration: éthique, intellectuelle, technique. Ils ont la détermination d’exercer leur discernement pour soutenir ce qui le mérite et combattre ce qui doit l’être, préserver ce qui est bon et transformer pour le meilleur ce qui ne l’est pas. Le progrès n’est pas tentative d’imposer au réel des utopies préconçues – ce qui engendre toujours des totalitarismes abominables, des massacres de la Terreur au Grand Bond en avant, en passant par les goulags – mais évolution à la fois audacieuse et pragmatique, profondément respectueuse du réel parce qu’elle s’appuie sur ce qu’il a déjà de meilleur. Le progrès ne nie ni ne refuse les vérités intemporelles, il s’attache à les dégager de la gangue des vieilles erreurs et du carcan des dogmes. Il est un effort résolu vers le Vrai, le Beau, le Bien.

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A l’inverse, le « progressisme » n’est qu’adoration servile de la mode, par nature superficielle et versatile. En d’autres temps les « progressistes » auraient applaudi Héliogabale, si audacieusement moderne alors que la République de Cicéron ou même la modération des Antonins étaient des idées réactionnaires. Prenant de nobles causes qui demandent un authentique engagement et un exercice constant du discernement, il fait des lubies qu’il caricature jusqu’à l’absurde. Il ne cherche aucune vérité intemporelle, quand il ne les nie pas ouvertement : il s’empare de n’importe quelle hypothèse, même la plus délirante, pourvu qu’elle puisse lui servir d’outil pour détruire les grandeurs qui lui renvoient en miroir sa propre petitesse.

Ainsi, là où le progrès veut mettre fin à la tyrannie de la majorité, le « progressisme » le parodie pour instaurer la dictature des minorités. Là où le progrès se veut à l’écoute de l’originalité et de l’inspiration inattendue, le « progressisme » promeut machinalement la transgression et l’inversion des valeurs. Là où le progrès a permis un autre regard sur la subjectivité, le « progressisme » nie toute réalité objective. Là où le progrès est émancipation, le « progressisme » n’est que chaos et errance.

Le progressisme des « Social justice warriors » n’est pas un progrès

Aujourd’hui, il s’est pris de passion pour les « études décoloniales », « l’intersectionnalité », « l’indigénisme », et la « justice sociale » au sens de l’expression anglaise des « social justice warriors ». Pour assouvir son rejet de toute tradition et donc, puisqu’il est occidental, sa haine de l’héritage de l’Occident, il abandonne systématiquement tout esprit critique devant l’exotisme, au point d’accepter les coutumes les plus barbares pourvu qu’elles viennent d’ailleurs. Ainsi, il renonce sans la moindre hésitation à ce progrès durement gagné que fut l’égalité de droits et de dignité entre femmes et hommes. Il encourage venant de l’islam ce que même les rois de France se voulant de droit divin n’acceptaient pas du christianisme. Il tente de réhabiliter une lecture racialiste, c’est-à-dire raciste, du monde – vieille idée dont l’abandon avait pourtant été un authentique progrès. Là où il fallut des siècles pour faire reconnaître la liberté et la responsabilité individuelles, il retourne à l’opinion selon laquelle l’individu, sans libre-arbitre, ne serait qu’une émanation du groupe – social, économique, culturel, religieux, ethnique. Disant voir dans la science une odieuse hégémonie occidentale (quand ce n’est pas « blanche »), il vise à nous ramener à une pensée magique que l’on croyait révolue depuis qu’Hypocrate a su montrer que les maladies sont des phénomènes naturels et non des châtiments divins. Alors que la liberté d’expression fut un progrès conquis dans le sang, le « progressisme » invente le politiquement correct, les « safe spaces » et les « réunions en non-mixité », et envoie ses brutes empêcher par la violence et la menace des pièces de théâtre, le tout pour rétablir le délit d’opinion et la censure. A l’aide d’une sociologie gangrenée d’idéologie, il donne un vernis pseudo-scientifique à une vision du monde selon laquelle tout ne serait que rapports de force et domination des uns sur les autres, idée pourtant déjà poussiéreuse lorsque Confucius et Lao Tseu en démontraient la fausseté chacun à leur manière, il y a deux millénaires et demi, ou quand les Égyptiens plaçaient le respect de Maât au-dessus de la force et de la richesse.

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Quant à son relativisme moral absolu, qui prétend que l’idée de justice ne serait que la manière hypocrite dont les puissants tentent de justifier la perpétuation de leurs privilèges, il n’est lui aussi qu’une très vieille lubie, dont l’absurdité est éclatante depuis le jour où, pour la première fois, un être humain s’éleva contre un tyran non pour se protéger lui-même, mais pour défendre plus faible que lui. Beau progrès que ce « progressisme », qui nous ramènerait volontiers à une époque à tel point primitive qu’elle est peut-être antérieure au moment où nos très lointains ancêtres sont devenus des homo sapiens !

Gabriel Matzneff, un scandale permis par le progressisme ?

Dernière illustration en date, l’affaire Matzneff. Après une période de contrôle des mœurs pudibond, culpabilisant et malsain en matière sexuelle, il y eut un véritable progrès: vers plus de lucidité, avec une approche réaliste et non dogmatique ; vers plus de dignité, avec la fin de tabous ridicules sur le plaisir, notamment féminin ; vers plus de liberté, avec en particulier la dépénalisation de l’homosexualité. Rien de très moderne, il suffit de lire Ovide pour s’en convaincre. Mais un progrès, c’est-à-dire une amélioration par rapport à la situation qui précédait.

Seulement voilà ! Là où le progrès visait à mettre fin à des contraintes arbitraires infondées, le « progressisme » en profita pour réclamer la fin de toute contrainte, de toute norme, de toute limite, et fit l’éloge de la pédophilie. Cohn-Bendit et Matzneff.

Aujourd’hui encore, 40 ans plus tard, Guillaume Durand sur Twitter en est la preuve involontaire, voyant dans la condamnation de Matzneff un retour du « puritanisme » et du refus des « sexualités atypiques ». Avec sa remarque sur la Manif Pour Tous, c’est tout juste s’il ne dit pas clairement que la condamnation de la pédophilie n’est qu’un prétexte pour remettre en cause les droits des homosexuels. Sans oublier Libé, qui ne trouve rien de mieux à faire que d’écrire en couverture « ses ébats avec des enfants ». Il fallait bien un journal résolument « progressiste » pour regarder avec une telle indulgence implicite ce que la tradition, le bon sens et l’éthique condamnent, et qualifier d’ébats des viols pédocriminels.

Adulation du contre-pied systématique

Comme à son habitude, le « progressisme » détourna et détourne encore le progrès jusqu’à l’annihiler à force de relativisme et de rejet en bloc de toute antériorité. L’instauration d’un âge minimal pour que le consentement soit valide fut un progrès, même s’il remonte à plus de deux millénaires dans le droit romain et presque autant dans le droit ecclésiastique. Tout comme la généralisation de l’exigence du consentement des époux pour le mariage, progrès que nous devons essentiellement à l’Église (avec la question « voulez-vous prendre pour époux/se ? ») et qu’elle n’obtint que difficilement, longtemps imparfaitement, et en luttant contre les habitudes et les intérêts de beaucoup. Progrès authentiques, précieux, âprement gagnés, et que les « progressistes » seraient prêts à balayer d’un revers de la main simplement parce qu’ils ont été obtenus par d’autres avant eux. Comme si chaque « progressiste » était persuadé que le progrès ne pouvait commencer qu’avec lui. Orgueil démesuré, hubris ! Et d’autant plus dangereux qu’il se couple à l’adulation du contre-pied systématique, et donc au rejet des progrès anciens : liberté et responsabilité individuelles, égalité des sexes, démarche scientifique…

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Ce nom de « progressisme » dont s’affuble la gauche régressive est un non-sens. La mort de l’esprit critique face aux idées à la mode, lâche renoncement à l’exercice du discernement et donc refus irresponsable de reconnaître les progrès véritables – qu’ils soient passés, présents ou encore à faire advenir – et qui est aussi la mort de toute volonté de combattre les tyrannies naissantes, ne saurait être considérée comme un progrès.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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