Il ne faut pas constitutionnaliser l’IVG, parce que « le droit » à l’avortement qui n’est nullement remis en cause, ne saurait, en aucun cas, être une « valeur ».
Faut-il inscrire un droit à l’avortement dans la Constitution ?
En attendant le vote conjoint des députés et des sénateurs, le 1er février, une conférence avait été organisée, pour répondre à cette question, ce vendredi, au Sénat, par le sénateur Ravier et le juriste Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ. Les orateurs traitèrent le sujet sous des angles différents : politique, juridique, social, philosophique. Précisant qu’elle ne se faisait l’avocate d’aucune cause partisane, Madame Le Pourhiet, universitaire, agrégée de droit public, vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel, envisagea la question sous l’angle juridique et à l’aune de « la qualité de notre droit ». Un exposé qui dissipa nos ignorances en la matière.
Une décision qui fait suite à une affaire américaine
Après avoir rappelé que la Constitution, dans ce grand pays de légistes qu’est la France, est le Contrat social de la nation, avec sa logique intellectuelle, sa cohérence, ses postulats juridiques fiables, le professeur retourna les arguments erronés, invoqués pour justifier cette constitutionnalisation.
Le premier se déduisait de l’exemple offert par l’affaire américaine de l’arrêt Roe vs Wade du 24 juin 2022. Mal compris dans son contexte, cet argument fut ensuite importé, en France, et instrumentalisé, alors que la « défédéralisation » de la question de l’avortement dont il était question, avec cette affaire, ne concernait en rien la France dont le régime politique et juridique n’est aucunement fédéral.
Le deuxième point, selon le professeur, est l’inutilité juridique de cette proposition « portant sur l’effectivité juridique de la loi. » La loi de l’IVG se rattache à la liberté, visée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, à concilier, avec le principe, tout autant constitutionnel, de sauvegarde de la dignité de la personne humaine tel qu’on le lit dans l’article 16 du Code civil : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie. » Dans le cas de l’IVG, que faudrait-il faire, dit Madame Le Pourhiet, de cet article issu de la loi Veil ? Y lire son abrogation ? La liberté, on le sait, n’existe pas de manière absolue : c’est à la loi d’en fixer des bornes, comme à l’exercice de tous les droits naturels. Pour rendre possible cette proposition de loi sur l’IVG, c’est-à-dire ne pas assigner de limite au droit de l’IVG, il faudrait écrire, noir sur blanc, non des principes vagues que la jurisprudence peut modifier mais « fixer l’exercice de cette liberté et son contenu, toutes précisions susceptibles de brider, par la lettre, la Constitution ». Dernière hypothèse : faudrait-il mettre l’IVG dans un chapitre à part ? Mais tel n’est pas le rôle d’une Constitution.
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Troisième point : où écrire cette liberté nouvelle ? Dans le titre 7 consacré à l’autorité judiciaire ? Après l’article 66 alinéa 1 sur la peine de mort ? En attendant le 66, alinéas 3 et 4 sur la corrida et l’euthanasie ? Après le droit à la vie, le droit à l’avortement ? Décidément, dit Madame Le Pourhiet, tout cela manquait singulièrement de cohérence logique, « témoignant plutôt d’une erreur d’appréciation, d’une rédaction bâclée, bref d’un militantisme constitutionnel peu propre à notre tradition de juristes. » Portalis et Carcassonne devaient se retourner dans leur tombe.
Dernier point : cette proposition de loi contrevient à l’esprit de nos lois, leur philosophie, marqué par l’humanisme de 1789. Notre conception transcendante du droit, « née d’un lent accouchement », affirme la spécificité de la dignité de l’être humain et son caractère sacré. Que devient cette conception transcendante de notre droit ? Nul doute que ce ne soit cette transcendance qui explique la gêne des promoteurs de cette de loi. Comment peut-on, en effet, concilier la dignité inaliénable de la vie humaine avec la suppression d’une vie humaine ?
Et Madame Le Pourhiet de conclure : depuis une décennie, la chose commune qu’est la République, tend à devenir, sous l’influence de la common law anglo-saxonne, une privatisation de la chose publique. La Constitution, un self service normatif obéissant au clientélisme : quel gouvernement ne propose une révision de la Constitution ? Depuis deux décennies, notre droit est passé de la verticalité à l’horizontalité, « de la majesté gaullienne à l’étroitesse domestique ».
L’Etat de droit est devenu, pour reprendre le juriste Carcassonne, « un État des droits ».
Que conclure après avoir écouté cet exposé ? Que « le droit » à l’avortement qui n’est, rappelons-le, nullement remis en cause, ne saurait, en aucun cas, être une « valeur » ni entrer dans la Constitution.
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