Constance Courson, qui signe son premier roman, n’est vraiment pas le genre de féministe qui passe ses journées derrière un écran de smartphone afin de déconstruire l’homme blanc occidental…
La bonne nouvelle est apportée par le vent d’ouest. Il s’agit d’un premier roman, Le Corps de l’écrivain, signé Constance Courson. Sa maison d’éditions, La part Commune, se trouve à Rennes, la région Bretagne participe à la publication de l’ouvrage, et l’histoire commence dans les rues de Rennes. C’est peu dire que la Bretagne est à l’honneur ! Même si ce road trip nerveux s’achève dans la baie du Mont Saint-Michel, c’est-à-dire administrativement en Normandie…
Pérégrinations à la Kerouac
Si la Bretagne est donc à l’honneur, la littérature ne l’est pas moins. Celle des grands stylistes, révérée par Constance Courson. D’entrée de jeu, la narratrice, un peu le double de l’auteure, place la barre très haut. Elle cite Chateaubriand, Proust, Millet, des écrivains dont la phrase est ductile et serpente souvent sur une page entière, sans dérouter le lecteur. Courson s’inspire en partie de ces écrivains, sans jamais nous perdre dans les méandres de ses phrases, ce qui est une prouesse. Mais la narratrice aime prendre des risques. La vie bourgeoise, molle et pusillanime, ne la fait pas vibrer. Sa jeunesse ressemble à une pelouse plate, jusqu’au jour où l’œuvre de Jack Kerouac frappe à sa porte et l’incite à refaire le trajet de l’écrivain américain, quand celui-ci s’était rendu à Brest en 1965, sur les traces de son ancêtre breton. La narratrice prend son sac à dos, y fourre des carnets à remplir, met des couteaux dans ses poches, car l’époque l’exige, et c’est le départ pour l’aventure. Cette impulsion est donnée par la lecture, c’est émouvant car on ne croyait plus qu’une trentenaire pût répondre à l’appel de la route, des bois et de la mer. La narratrice va coucher dans la rue, rencontrer des personnages déréglés, alcooliques, drogués, elle va leur tenir tête, ne jamais flancher sous leurs coups, résister à leurs provocations de machos décérébrés. Mais n’allez pas faire d’elle une féministe qui passe ses journées derrière un écran de smartphone afin de déconstruire l’homme blanc occidental. Les formules de Courson frappent fort. Elle ne retient pas ses uppercuts. Le récit sent la tripe, les odeurs d’urine et de pieds ; les fluides corporels abondent. Elle met sa peau sur la table, « excitée par l’alcool et l’air marin ».
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Il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud…
Dans sa longue marche au milieu des fougères, dans de sombres forêts de chênes désertées depuis belle lurette des fées, elle tombe sur un curieux personnage, Médéric, un ex-légionnaire, entouré de quelques potes, anciens militaires eux aussi, qui savent manier la kalachnikov. Le soldat a fait la guerre « pour de vrai », pas dans un jeu virtuel ; il a combattu en Afghanistan, connaît les horreurs commises par les deux camps. Le récit de Médéric se superpose à celui de la randonnée de la narratrice. Le roman n’en est que meilleur. L’amour rôde également, mais il est impossible. Médéric croit aimer la narratrice, mais il ne peut chasser de son esprit une très jolie jeune femme que son groupe de militaires avait capturée dix ans auparavant en Afghanistan, « où elle combattait avec une vingtaine de djihadistes dont aucun n’avait dépassé les vingt-cinq ans », une femme qui se battait avec la même violence au ventre que les hommes. Si, si, ça existe.
Constance Coulon traque, avec courage, les mensonges et les dérives de la société contemporaine. Elle enrage de constater ce qu’elle fait dire, de façon triviale, à Médéric : « la langue française est tombée au ras des pâquerettes ». Il y a une très belle description de la traversée du goulet de Brest, en bateau ballotté par le clapot, après avoir longé les imposantes falaises de la côte. Ces décors naturels fortifient le style, déjà puissant, de Constance Courson. C’est à regret qu’on referme ce premier roman qui en appelle un deuxième. Comme le large, sur les hauteurs de Brest, nous invite au voyage, parfois sans retour.
Constance Courson, Le Corps de l’écrivain, Éditions La Part Commune.