Le 18 mai, le Conseil d’État a pris une décision surprise et importante. La plus haute juridiction administrative a ordonné au gouvernement de «lever l’interdiction générale et absolue» des célébrations dans les lieux de culte sous huit jours. Les enterrements ne devraient plus non plus être limités à 20 personnes. Nous analysons cette décision et les textes sur lesquels elle s’appuie.
« Nous qui n’avons le droit de nous mêler que des choses de ce monde, nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix. » (Mirabeau)
Notre analyse
C’est un signal fort envoyé par le Conseil d’État aux pouvoirs publics par cette décision.
En rappelant le principe de la proportionnalité de la mesure de police, même en période exceptionnelle d’épidémie, le Conseil d’État remet l’Église au milieu du village.
D’autant plus qu’en défense, le ministre de l’Intérieur avait fait valoir qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte ne pouvait être caractérisée puisque les établissements de culte étaient autorisés par le décret contesté à rester ouverts : seuls les rassemblements et réunions en leur sein étant interdit.
Le Conseil d’État n’a pas nié la nécessité pour le Premier ministre d’encadrer les établissements de culte compte tenu de l’épidémie, mais lui reproche d’avoir posé une interdiction trop générale
En rappelant que la liberté de culte ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement
On peut toutefois regretter l’analogie faite par la Haute juridiction entre la situation des établissements de culte et celle des magasins et centres commerciaux : les français ne se rendent pas à la messe comme au supermarché, et si elle est dénuée d’impact économique, la vie spirituelle n’en est pas moins essentielle pour la Nation.
Enfin, on se gardera d’analyser la décision commentée comme un blanc-seing donné par le Conseil d’État à tous les rassemblements dans les établissements de culte. Le rassemblement évangélique irresponsable de Mulhouse relevé dans la décision doit servir de leçon et de contre-exemple.
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Il appartient désormais aux pouvoirs publics de trouver le juste curseur pour encadrer sous huitaine les rassemblements et réunions dans les établissements de culte afin de contenir l’épidémie, dans le respect de l’exercice de la liberté de culte.
Une décision argumentée
En cas d’épidémie, le Premier ministre est habilité par la loi à prendre par décret motivé des mesures proportionnées aux risques courus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.
Le chef du gouvernement peut ainsi notamment limiter ou interdire les rassemblements et réunions de toute nature, et ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, des établissements recevant du public (ERP) ainsi que des lieux de réunion. Ce faisant, le Premier ministre peut légalement porter atteinte, de manière mesurée, aux libertés fondamentales au nom de l’impératif de protection de la santé publique, composante sanitaire de l’ordre public. Dans ce cadre, compte tenu de l’émergence du nouveau coronavirus particulièrement contagieux, le Premier ministre a pris un décret n°2020-548 du 11 mai 2020 venant encadrer de manière particulièrement stricte les établissements de culte (ERP de catégorie V) : « Les établissements de culte, relevant du type V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit. Les cérémonies funéraires sont autorisées dans la limite de vingt personnes, y compris dans les lieux mentionnés à l’alinéa précédent. ».
Le décret du 11 mai 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19 interdisait donc de manière absolue tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Une décision très attendue par les croyants
Considérant que ce décret portait atteinte à la liberté de culte, des associations religieuses catholiques comme Civitas et un certain nombre de croyants ont saisi le Conseil d’État en urgence, lui demandant d’en suspendre l’exécution et d’enjoindre au Premier ministre de lever cette interdiction pour tous les cultes. La procédure de référé-liberté permet en effet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré qu’il s’agit bien d’une situation d’urgence, et d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
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Par une ordonnance du 18 mai 2020, le Conseil d’État a donné raison aux requérants en enjoignant au Premier ministre de modifier, dans un délai maximum de 8 jours le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, pour encadrer, et non pas interdire, les rassemblements et réunions dans les établissements de culte. C’est une décision bienvenue. Pour parvenir à une telle solution, la Haute juridiction a pris en compte et rappelé de nombreux éléments.
En premier lieu, le Conseil d’État a considéré que la condition d’urgence était remplie compte tenu :
- De l’amélioration de la situation sanitaire ayant justifié le déconfinement,
- De l’impossibilité pour les fidèles de se réunir au sein des établissements de culte,
- Et des importantes fêtes qui ont eu lieu au printemps dans les trois religions réunissant le plus grand nombre de fidèles en France.
De manière surprenante, les pouvoirs publics n’avaient même pas contesté cette situation d’urgence dans le cadre de leur défense.
En deuxième lieu, le Conseil d’État a rappelé que la liberté du culte présentait le caractère d’une liberté fondamentale pouvant justifier un référé-liberté, ce qui n’est pas nouveau dans sa jurisprudence. Mais plus encore, et c’est le plus important, la Haute juridiction a précisé que cette liberté ne se limitait pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comportait également, parmi ses « composantes essentielles », le droit de « participer collectivement (…) à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte ». Par le passé, le Conseil d’État avait d’ailleurs déjà pu juger que la « possibilité d’exprimer dans des formes appropriées ses convictions religieuses » constituait une liberté fondamentale dans le cadre d’une affaire de foulard à l’école (CE, ord., 7 avril 2004, Kilicikesen, n°266085).
En troisième lieu, confrontant les principes à la situation d’espèce, le Conseil d’État a considéré que le Premier ministre avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte par son décret du 11 mai 2020. Le Conseil d’État n’a pas nié la nécessité pour le Premier ministre d’encadrer les établissements de culte compte tenu de l’épidémie, mais lui reproche d’avoir posé une interdiction trop générale et trop absolue dans le nouveau contexte issu du déconfinement.
La liberté est la règle, la restriction l’exception
Dans un État de droit, la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception. Les pouvoirs publics doivent donc toujours concilier l’exercice des libertés fondamentales avec l’impératif de protection de l’ordre public en trouvant un point d’équilibre. Pour qu’une mesure de police soit légale, il faut ainsi qu’elle tende à maintenir l’ordre public par les moyens les moins rigoureux possible et qu’elle ne porte pas une atteinte excessive aux libertés fondamentales.
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Le Conseil d’État a jugé que l’intervention du Premier Ministre était nécessaire pour encadrer les établissements de culte dans la mesure où :
- Le risque de contamination est élevé dans un espace clos, puisque les personnes ont des contacts proches et prolongés et émettent davantage de gouttelettes ;
- Il est possible d’être également contaminé par le biais des surfaces sur lesquelles le virus s’est déposé ;
- Les rassemblements et réunions sont la principale cause de propagation du virus ;
- Les cérémonies de culte exposent les participants à un risque de contamination élevé puisqu’elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand nombre de personnes, qu’elles s’accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d’échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes et que les règles de sécurité appliquées y sont insuffisantes à ce jour ;
- Un rassemblement religieux réunissant plus d’un millier de participants venus de toute la France entre le 17 et le 24 février 2020 près de Mulhouse a provoqué un nombre important de contaminations qui ont, elles-mêmes, contribué à la diffusion massive du virus dans l’ensemble de la population française.
Mais dans le même temps le Conseil d’État a jugé que le décret du Premier Ministre était excessif dans la mesure où :
- Le même décret du 11 mai 2020 prévoit des régimes bien moins restrictifs pour l’accès du public pour de nombreuses activités qui ne sont pas moins risquées que les cérémonies de culte au regard de l’épidémie, notamment le service de transport public de voyageurs, les magasins et centres commerciaux, les établissements d’enseignement et les bibliothèques ;
- Une tolérance est appliquée par les pouvoirs publics pour les rassemblements de moins de 10 personnes dans les lieux publics depuis le déconfinement ;
- Des règles de sécurité adaptées aux établissements de culte peuvent être élaborées sous le contrôle des autorités de l’État et des établissements de culte afin de permettre les réunions en leur sein tout en limitant le risque sanitaire ;
- Le rassemblement évangélique imprudent de Mulhouse n’est pas représentatif de l’ensemble des cérémonies de culte, puisqu’il a cumulé un grand nombre de facteurs de risque et qu’il s’est tenu à une date à laquelle n’étaient pas appliquées de règles de sécurité particulières en matière de contamination par le coronavirus.
Il en résulte, selon le Conseil d’État, que l’interdiction générale et absolue imposée par le décret contesté de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique. Cette interdiction constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.
Dans ces conditions, le Conseil d’État enjoint au Premier ministre de modifier, dans un délai maximum de 8 jours le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, pour encadrer, et non pas interdire, les rassemblements et réunions dans les établissements de culte.
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