En réponse à l’ami des migrants, Cédric Herrou, le Conseil constitutionnel a estimé, comme l’ont repris les grands médias, « qu’une aide désintéressée au séjour irrégulier ne saurait être passible de poursuites, au nom du ‘principe de fraternité’ « . Mais la « victoire » des no border n’est que symbolique.
Notre planète connaît, depuis le début du XXe siècle, une expansion démographique inouïe dans l’histoire de l’humanité : une multiplication par huit de la population (de 1 milliard à bientôt 8…). Les questions de l’occupation de l’espace habité et de sa stabilité socio-économique, puis politique, deviennent donc des problèmes sans précédent historique. Et comparer les mouvements de population des siècles précédents avec ceux du XXIe siècle n’a aucun sens. En effet la pression immigratoire que subit le continent européen depuis un demi siècle a concerné des millions de personnes, le mouvement s’accentuant récemment et se dramatisant (exploitation cynique et vénale de la crédulité des migrants par des entreprises de trafic d’êtres humains et leurs complices; morts dans des conditions terribles).
Le droit à émigrer n’est pas un droit à immigrer
En droit se posent plusieurs questions relatives à l’attitude que les pays de destination (et non pas d’accueil) doivent avoir face à ces centaines de milliers de personnes qui tentent de pénétrer sur leurs territoires. Le terme généralement utilisé de « migrants » est déjà intenable car il établit un amalgame entre les réfugiés, demandeurs d’asiles, les fugitifs qui tentent d’échapper aux autorités judiciaires de leurs pays, les clandestins qui pensent trouver aides sociales et emplois. Car les vrais immigrants se présentent aux frontières, aux services d’immigration officiels, munis des documents que suppose l’entrée sur le territoire de toute nation par le monde. Entrer sur le territoire national en fraude est passible de sanctions pénales sans parler de l’expulsion.
Cette protection de la nation, du lien à la nation, et donc du sentiment national s’intègre aux principes essentiels communs à l’humanité, principes qui ont été posés par des textes à vocation universelle, le plus souvent des textes internationaux.
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en France (1789)
- La Déclaration universelle des droits de l’homme, des Nations Unies (1948)
- La Convention européenne des droits de l’homme, du Conseil de l’Europe (1950)
- Le Pacte international des Nations Unies sur les droits civils et politiques (1966)
- La Convention internationale sur la discrimination raciale, des Nations Unies (1981)
- La Charte des droits fondamentaux, Union Européenne (2000)
Le droit pour la nation de sauvegarder son existence est affirmé par l’article 4 du Pacte des Nations unies pour les droits civils et politiques : « Dans le cas où un danger […] menace l’existence de la Nation, [celle-ci peut] prendre […] des mesures [de sauvegarde] dans le respect du droit des minorités ». De ce texte on infère généralement, que la minorité, si elle doit être respectée, n’est que la minorité et l’exception, et donc que la règle est posée par la majorité historique et culturelle de la nation.
Le Pacte des Nations unies, dans ses articles 1 à 5, mais aussi la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 13) proclament le droit à émigrer. Mais le droit de quitter son pays et, d’ailleurs aussi, celui d’y revenir, n’est nullement le droit d’immigrer qui, lui, n’existe pas et n’est visé par aucun texte sur l’immigration. Entrer dans un pays en fraude, ou même s’y maintenir en fraude, constitue une infraction administrative, qui peut devenir une infraction pénale. En France, peut être puni d’une peine de prison de trois ans l’étranger qui a tenté de se soustraire à une mesure de reconduite à la frontière (article 27, Ordonnance du 2 novembre 1945, désormais, devenue, depuis l’Ordonnance du 24 novembre 2004, l’article L 624-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers).
La décision ambigüe du Conseil constitutionnel
Dans un contexte politiquement très tendu, dans tous les pays d’Europe, sur la question migratoire survient cette décision du Conseil constitutionnel français après qu’il eut été saisi dans le cadre de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par les avocats d’un personne condamnée pénalement pour l’assistance qu’elle offrait à des migrants franchissant illégalement la frontière franco-italienne. Cette décision n’a pas encore été publiée dans son intégralité, à l’heure où j’écris ; toutefois, un communiqué de presse officiel a été publié par le Conseil.
Comme bien souvent, hélas, les médias cherchent le sensationnel ou une confirmation de leurs engagements idéologiques. Et ont cru voir dans cette décision une victoire de la cause no border. Par delà les émotions variées, quelle sera la portée pratique juridique de cette décision ?
Le fait que la Fraternité soit consacrée comme valeur constitutionnelle de notre République n’est ni incongru ni si nouveau. Elle est inscrite comme devise en l’article 2 de la Constitution : « La devise de la République est ‘Liberté, Égalité, Fraternité’. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Le texte pénal qui était soumis à la censure du Conseil devra être réformé. Il s’agit du L. 622-1 et du L.622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Citons le Conseil : « En application du premier alinéa de l’article L. 622-1 de ce code, le fait d’aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Toutefois, son article L. 622-4 prévoit plusieurs cas d’exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur le fondement de ce délit. Le 3° de ce même article accorde quant à lui une immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
Or, selon le Conseil : « Il découle de ce principe [de Fraternité] la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
Les passeurs seront punis
Il y a là, de prime abord, une imprécision dans l’expression juridique car le Conseil semble faire un amalgame entre « séjour » et « entrée » sur le territoire national. L’activité de passeur, qui va chercher des clandestins pour les aider à entrer illégalement sur le territoire n’est pas une activité humanitaire. Mais un délit.
D’ailleurs, le Conseil le précise aussitôt : « Rappelant toutefois, selon sa jurisprudence constante, qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national et qu’en outre, l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel juge qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public. »
Concrètement : « Le Conseil constitutionnel prononce, d’une part, la censure des mots ‘au séjour irrégulier’ figurant au premier alinéa de l’article L. 622-4 du CESEDA, en jugeant que, en réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Le Conseil constate, en revanche, qu’une telle exemption ne doit pas nécessairement être étendue à l’aide à l’entrée irrégulière, qui, à la différence de l’aide au séjour ou à la circulation, fait naître par principe une situation illicite.
D’autre part, formulant une réserve d’interprétation, il juge que les dispositions précédemment citées du 3° de l’article L. 622-4 du CESEDA, qui instaurent une immunité pénale en cas d’aide au séjour irrégulier, ne sauraient, sans méconnaître le principe de fraternité, être interprétées autrement que comme s’appliquant également à tout autre acte d’aide apportée dans un but humanitaire que ceux déjà énumérés par ces dispositions. »
Pratiquement les passeurs, quelles que soient leurs motivations seront punis pénalement et les textes de lois devront être adaptés d’ici la fin de l’année. Une victoire à la Pyrrhus, sans conséquences ni lendemain pour les no border. On est aux antipodes de l’ « immense victoire » claironnée par les ONG et leurs avocats; ainsi que par des élus de gauche.
Au Parlement, députés et sénateurs ne sont pas d’accord, sur le projet de loi « asile et immigration » : fin juin, les sénateurs avaient durci le texte adopté en avril par l’Assemblée nationale, qui avait précisément assoupli le « délit de solidarité ». Une nouvelle écriture du texte devra donc tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel. Alors, avec cette adaptation anodine, ce sera bien le peuple qui reprendra son propre gouvernement ; le principe constitutionnel primordial.
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