Lorsque Henry Kissinger, ancien diplomate et secrétaire d’Etat américain, rencontra Yasser Arafat, en 1994, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix, il lui demanda pour quelles raisons les Israéliens pouvaient avoir confiance en lui. L’ancien chef de l’OLP formula la réponse suivante : « Parce que les Saoudiens nous ont isolés, les Jordaniens cherchent à nous affaiblir et les Syriens, à nous dominer. »[1. Henry Kissinger, La Nouvelle Puissance Américaine, Paris, Editions Fayard, 2003, p.249.] Cette réponse pour le moins révélatrice de la « fraternité arabe », expression consacrée par bon nombre de résolutions des Nations Unies, nous offre l’occasion de revenir sur un conflit peu médiatisé existant pourtant depuis plus de 60 au Moyen-Orient : le « conflit arabo-palestinien ».[2. Nous n’aborderons pas ici les conditions de vie difficiles des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Des manifestations contre le Hamas et l’Autorité palestinienne viennent pourtant de s’y dérouler pour critiquer les lois antisociales adoptées par le Hamas, la hausse des prix et la corruption qui gangrène l’Autorité palestinienne.]
Un conflit tabou
En juillet 2010, dans un article intitulé « Les Palestiniens dans le monde arabe : Pourquoi le silence ? », le journaliste Khaled Abou Toameh s’interrogeait sur l’absence de médiatisation qui entoure le sort des réfigiés palestiniens des pays arabes. Qui se souvient en effet avoir pris connaissance des plaintes palestiniennes formulées à l’encontre des Gouvernements proche-orientaux pour privation de droits élémentaires (accès aux soins médicaux, à la sécurité sociale ou à certaines professions : avocat, médecin, journaliste, pharmacien…) ? Qui se souvient encore de la dernière résolution adoptée par un organe des Nations Unies pour condamner les mauvais traitements infligés par ces Gouvernements aux réfugiés?
Bien sûr, en raison de leur médiatisation, il est plus aisé de se souvenir des résolutions onusiennes condamnant Israël. Qu’entendrions-nous si l’Etat hébreu appliquait à ses citoyens arabes la même politique que ses voisins aux réfugiés palestiniens ? Si l’on peut reprocher à Israël d’être, à certains égards, un pays à deux vitesses, il reste à l’heure actuelle le seul de la région à promouvoir, ainsi que le prévoit la Déclaration d’Indépendance de 1948, « une complète égalité de droits sociaux et politiques (…), sans distinction de croyance, de race ou de sexe. » C’est pourquoi, il compte de nombreux citoyens arabes aux fonctions étatiques les plus hautes : à la Knesset, par exemple, plusieurs députés arabes ont été élus dont Taleb El-Sana, Ahmad Tibi ou Muhammad Barakeh ; à la Cour suprême d’Israël, le juge Salim Joubran siégea lorsque la haute juridiction condamna, en novembre 2011, l’ancien président d’Israël, Moshé Katzav, à sept ans d’emprisonnement pour harcèlement sexuel et viols. En dépit du régime démocratique qui fait d’Israël une exception au cœur d’une région ravagée par les dictatures militaires et religieuses, cet Etat est régulièrement comparé à une nation d’apartheid.
A titre de comparaison, à l’heure actuelle au Liban, plus de 400 000 réfugiés palestiniens restent apatrides, géographiquement et socialement cantonnés à des emplois déterminés ; en Syrie, ils sont méprisés et manipulés par des dirigeants dont la politique fut toujours celle de la division permanente de la scène politique palestinienne. En Jordanie, ils sont également méprisés en raison de l’épisode Septembre noir orchestré par Yasser Arafat en 1970 contre la monarchie hachémite et ils furent déchus de la citoyenneté jordanienne lors du desengagement de la Cisjordanie en 1987. En Egypte, les Palestiniens subissent le dédain des autorités, qui contrôlaient Gaza d’une main de fer jusqu’en 1967 avant de l’abandonner définitivement en 1978 à Israël, marquant ainsi sa « trahison » de la cause palestinienne.
Les racines du mal
Le 14 mai 1948, David Ben Gourion se fonda sur la résolution 181, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1947, pour proclamer l’Indépendance de l’Etat d’Israël. Côté palestinien, aucun Etat ne fut proclamé : la guerre fut déclenchée, le 15 mai 1948, par les armées régulières égyptienne, syrienne, libanaise, transjordanienne et irakienne. Comme en 1936-1937 lors de la Commission Peel, leurs dirigeants rejetaient l’idée d’un partage territorial avec les sionistes car ils considéraient l’Etat juif, d’une part, comme un obstacle à la réalisation du Dar-el-Islam et, d’autre part, comme une intrusion de l’Occident dans leur zone territoriale. L’Etat nouveau-né avait en effet mis en place un régime calqué sur le modèle des démocraties libérales, qui différait grandement de ceux prônés par les régimes arabes. Leur motivation profonde semblait alors consister à empêcher la fondation et l’existence de l’Etat d’Israël, Etat non musulman au sein d’une région islamisée.
C’est pourquoi au cours de l’année 1948-1949, la Transjordanie et l’Egypte s’opposèrent à l’intégration des 700 000 réfugiés palestiniens, volontairement exilés ou contraints à l’exil, puisqu’ils étaient alors convaincus que l’Etat d’Israël ne survivrait pas aux offensives militaires et qu’ils pourraient retourner dans une Palestine libérée du joug sioniste. Ce refus d’intégrer ces nombreux Arabes de Palestine allait ainsi servir d’alibi aux gouvernements arabes pour justifier leur politique contre l’Etat hébreu tout en détournant l’attention de leurs propres peuples des véritables problèmes de politique interne. N’avaient-ils d’ailleurs pas contribué à l’exode des Palestiniens en les priant de quitter leurs terres avant leur offensive contre Israël au cours de la guerre comme l’écrivait l’historien Paul Giniewski en 1955 : « Le Gouvernement britannique, qui a observé une attitude expectante parfois non dénuée de sympathie à la cause arabe, a solennellement attesté que les Juifs ont fait tous les efforts pour persuader les Arabes de Palestine de demeurer sur place. Nulle mesure légale, nulle pression n’a obligé les Arabes à quitter le territoire contrôlé par Israël. (…) Les Arabes de Palestine ont cédé à un mouvement de panique (…) ils ont été encouragés à s’expatrier en attendant la défaite de l’Etat juif nouveau-né. »[3. Ovadia Soffer, « Le conflit arabo-israélien : la réalité et les mythes », Politique étrangère, vol. 49, n°4, 1984, à la p.954.]
Perdue par cinq nations arabes, cette première guerre israélo-arabe permit à Israël, avec l’aide des Nations Unies, lors de la signature des Accords d’armistice conclus du 23 février au 20 juillet 1949, d’agrandir le territoire qui lui avait été alloué, en annexant la zone occidentale de Jérusalem, le Néguev et la Galilée. Le Gouvernement israélien accepta également de rapatrier 50 000 réfugiés après l’adoption de la résolution 194 par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948 et reprit à sa charge 28 000 réfugiés secourus par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA)[4. Jacques Soustelle, La longue marche d’Israël, Paris, Editions J’ai lu, 1968, p.351.]. La Judée-Samarie ou Cisjordanie fut annexée à la Transjordanie devenue Jordanie, qui ne lui permit jamais d’espérer accéder à l’indépendance puisque l’émir Abdallah envisageait la création d’un royaume hachémite palestinien[5. Ovadia Soffer, « Le conflit arabo-israélien : la réalité et les mythes », Politique étrangère, vol. 49, n°4, 1984, à la p.954.]. La bande de Gaza, pour sa part, fut placée sous tutelle égyptienne après que l’Egypte se fut opposée à la mise en place d’un « Gouvernement palestinien » que le mufti de Jérusalem, Hadj Amin El-Husseini, avait pourtant créé à Gaza le 1er octobre 1948.
Guidés par leurs visées égoïstes, les leaders arabes avaient abondamment contribué à faire naître l’épineuse question palestinienne en instrumentalisant ces nouveaux réfugiés pour refuser l’existence même d’Israël. Dans ce contexte, le député jordanien Abdallah Nawas pouvait ainsi déclarer le 6 juin 1952 : « Nous devons continuer à prolonger le problème des réfugiés comme une question vitale… La guerre en Palestine ne continue que grâce aux réfugiés. Leur existence laisse la question ouverte. »[6. Soustelle, supra note 4.]. Cependant, au fil des victoires militaires israéliennes, la cause palestinienne fut discréditée et connut jusqu’à maintenant une instrumentalisation intensifiée de la part des dirigeants arabes.
Pourtant, s’indigne Khaled Abou Toameh, l’attention des nombreux journalistes occidentaux ne s’attarde pas sur le sort des Palestiniens, qui ne bénéficient d’aucuns droits civils et civiques dans les pays du Moyen-Orient contrairement aux citoyens arabes en Israël, mais par la constuction illégale de logements à Jérusalem. Question de point de vue !
*Photo : Farfahinne
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