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L’ombre du conflit soudanais

La livraison de drones turcs Bayraktar sont le dernier exemple de l'ingérence des puissances régionales dans la guerre civile


L’ombre du conflit soudanais
Président du Conseil de souveraineté de transition du Soudan Abdel Fattah al-Burhan aux Nations Unies, 21 septembre 2023 (c) Craig Ruttle/AP/SIPA

2023 sera-t-elle l’année des catastrophes conjuguées ? Alors que la guerre d’Ukraine se prolonge et ne semble pas pouvoir se conclure rapidement, de nombreux conflits régionaux s’embrasent au Sahel, au Proche-Orient ou dans le Caucase… mais aussi au Soudan. Oubliée, la guerre civile soudanaise n’en reste pas moins un danger grave pour la région qui aura des répercussions sur l’équilibre arabe.


Depuis avril 2023, la guerre civile au Soudan entre l’armée régulière fidèle au président, de facto, Abdel Fattah al-Burhan et son ancien allié, Mohamed Hamdan Dogolo, chef des paramilitaires du FSR (forces de soutien rapide) a causé 9000 morts pour cinq millions de réfugiés et mis la société civile tout juste renaissante du pays à genoux. Alors que l’on pensait que la chute de la dictature d’Omar el Bechir, puis la période de transition instituée par Burhan et Dogolo allait conduire à un Soudan pacifié et pouvant enfin bénéficier de son potentiel considérable jamais exploité, la guerre civile a repris entre l’armée régulière et les milices armées, soutenues par différents États de la région dont aucun n’avait initialement vraiment intérêt à déclencher un conflit régional.

Guerre de l’eau

Ainsi, on retrouve dans le camp du président Burhan notamment l’Égypte et la Turquie, les Émirats Arabes Unis et l’Éthiopie soutenant davantage Dagolo. En jeu, le différend entre l’Égypte et l’Éthiopie sur fond de projet de barrage qui menacerait l’approvisionnement d’eau dans la région. Nous sommes donc dans un conflit sanglant où personne n’a vraiment raison ou tort et où les protagonistes semblaient avoir commencé des pourparlers de paix, fortement poussés par les États-Unis.

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Or, le Wall Street Journal, dans un article de Benoit Faucon, Nicholas Bariyo et Summer Said, publié le 14 octobre[1], vient de révéler que très récemment, l’Égypte a procédé à la livraison de drones turcs Bayraktar en septembre dernier à l’armée régulière. Ces drones, qui ont gagné leur réputation lors du début du conflit ukrainien, ont contribué à empêcher les troupes russes d’envahir Kiev. Les pilotes de drones seraient quant à eux actuellement formés en Egypte.

Au terme d’âpres négociations, l’Égypte vient d’accepter d’ouvrir un « corridor humanitaire » via le passage de Rafah permettant de faire entrer de l’aide humanitaire, se gardant bien cependant d’accueillir des réfugiés gazaouis, il apparait paradoxal de les voir donner des moyens supplémentaires à la poursuite d’une guerre civile sur sa frontière sud. Cette alliance de facto entre l’Égypte et la Turquie, appuyée en creux par les États-Unis constitue également une forme de renversement d’alliance et montre également la perte d’influence des frères musulmans en Turquie.

Regards braqués ailleurs

Au-delà de ce constat, le Soudan ne doit pas être un conflit oublié, particulièrement au moment où les regards sont forcément braqués sur Israël. Depuis six mois, les Soudanais se retrouvent entre le marteau et l’enclume d’un conflit dont ils souhaiteraient surtout qu’il se termine au plus vite. Bien évidemment, les passions déclenchées dès qu’il est question de Gaza ont tendance à effacer un conflit dont on parlait déjà beaucoup trop peu, mais à l’heure où des livraisons d’armes se poursuivent, il serait grand temps de se focaliser davantage sur les espoirs d’une paix dont on sait bien qu’elle se négocie activement, sous l’égide américaine. Pour comprendre les implications de cette récente livraison, rappelons que récemment, une attaque de drone dans un marché ouvert a tué près de 40 personnes selon les associations de défense des droits de l’homme.

Le cauchemar soudanais peut se terminer enfin, mais pour cela il faudrait que les armes se taisent.


[1] https://www.wsj.com/world/africa/ignoring-u-s-calls-for-peace-egypt-delivered-drones-to-sudans-military-6f7fdcda



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Arnaud Lacheret est docteur en science politique. Après une carrière dans plusieurs cabinets d’élus locaux et nationaux, il s’est reconverti dans l’enseignement supérieur et la recherche, et notamment le management public et l’analyse des politiques publiques. Il est depuis 3 ans en mission dans le Golfe arabo-persique au service du ministère des affaires étrangères où il dirige la French Arabian Business School en lien avec l’Essec, au sein de l’Arabian Gulf University à Bahreïn. Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et d’un ouvrage où il évoque le bricolage complexe et nécessaire que le Maire d’une banlieue sensible doit mettre en œuvre pour gérer efficacement le fait religieux et communautaire. « Les territoires gagnés de la République? » est édité par le bord de l’eau.

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