À ne pas choisir entre l’économique et le sanitaire, Macron va finir par tuer les deux.
On connaît la fable de l’âne de Buridan, le philosophe médiéval qui avait imaginé une pauvre bête assoiffée et affamée qui faute de choisir entre le seau d’eau et le picotin finissait par mourir de faim et de soif. Comment ne pas y penser en voyant le pilotage à vue du gouvernement ?
Le très brouillon Castex
L’économie ou la santé ? On comprend qu’ils hésitent. Ou plutôt on ne comprend pas. Si choisir la santé, c’est-à-dire sauver le maximum de vies dans un système hospitalier épuisé et ruiné, signifie l’ « effondrement » économique dont parlait Edouard Philippe qui n’aura pas mis longtemps à se faire regretter en comparaison du très brouillon Castex, ce n’est effectivement pas une bonne chose.
Mais le problème dont les plus lucides s’aperçoivent déjà, c’est que choisir l’économie, – choix cynique mais qui aurait le mérite de la clarté – quand on a été rigoureusement incapable de déconfiner correctement et qu’on a laissé circuler le virus dans des proportions pour le moins inquiétantes, cela finit un jour où l’autre par faire aussi s’effondrer l’économie elle-même. Pour cela il suffit de comprendre une chose simple. Si le virus tue ces temps-ci 400 personnes par jours, il en rend malades beaucoup plus. Se retrouver positif, sauf pour les asymptomatiques, cela signifie quand même rester sur le flanc une bonne quinzaine de jours dans le meilleur des cas. Sans compter les séquelles, cela aboutit assez logiquement à une désorganisation plus ou moins importante du fonctionnement des entreprises et des administrations et, à terme, à la désorganisation ou au ralentissement économique.
Sinon, pourquoi croyez-vous que la plupart des pays se sont confinés au printemps et se reconfinent aujourd’hui ? Contrairement à ce que disait Lénine, les capitalistes ne sont pas idiots au point de vendre la corde qui les pendra. Il vaut mieux, pour eux, perdre beaucoup que tout perdre.
Choisir de ne pas choisir
Seulement à l’Élysée, on choisit de ne pas choisir et on risque bientôt de finir comme le pauvre âne imaginé par Buridan. On peut toujours se payer de mots. On peut parler de couvre-feu, de confinement : quand le mot ne désigne plus la chose, en politique, on appelle ça de l’hypocrisie. Il y a tout de même quelque chose de paradoxal qu’Emmanuel Macron n’ait jamais employé le mot confinement lors de son discours de la mi-mars pour ce qui était vraiment un confinement alors qu’il l’a employé en octobre pour désigner ce qui est tout sauf un confinement.
Disons que c’est plutôt une assignation à résidence pour les personnes âgées qui sont les plus vulnérables et pour les étudiants qui ne sont pas pour rien dans les clusters de la rentrée. Il y a deux jours, c’était encore des étudiants, ceux de l’école de police de Nîmes, qui montraient leur civisme et leur sens des responsabilités en ayant organisé une nouba du feu de dieu.
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Casser les courbes de contamination pour reprendre une politique de test et d’isolement, ça va demander un certain temps si, malgré le télétravail, il y a encore des salariés qui prennent des transports en commun et surtout des écoles restées ouvertes pour les y aider. Si on peut encore discuter sur les écoles maternelles et les écoles primaires, peuplées de minots peu contagieux, cela devient franchement problématique en ce qui concerne les lycées et les collèges.
Le cas Blanquer
C’est Blanquer qui devrait être premier ministre, il manie beaucoup mieux le déni, le mépris et le court-termisme que Castex, et ainsi se retrouve bien plus proche du monde selon Macron. Un monde où l’on utilise une parole que l’on croit performative, c’est-à-dire une parole à elle seule qui changerait le cours des choses. Mais comme le disait encore Lénine qui, cette fois, ne se trompait pas, « les faits sont têtus ». Le « protocole sanitaire renforcé », notamment dans les lycées, est une vaste blague potentiellement mortifère. Les salles sont bondées par de jeunes adultes aussi contaminants que vous et moi qui sont dans l’impossibilité de garder les distances sociales. L’aération des salles est plutôt difficultueuse en hiver, surtout quand on a bêtement omis, sauf semble-t-il dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, de penser à équiper comme en Allemagne les classes avec des purificateurs d’air.
Faut-il rajouter que le brassage est monnaie courante : non seulement pour des raisons de locaux exigus mais aussi… pédagogiques. La réforme Blanquer du bac a multiplié les groupes optionnels qui viennent de différentes classes pour mieux se mélanger. Bref, non seulement les profs finiront par être contaminés (ça, finalement, ce n’est pas très grave, les profs on les célèbre seulement quand ils sont morts) mais les lycéens rapporteront le virus à la maison.
Vive le masque à la maison
L’ancien directeur général de la santé, un certain monsieur Dab, a néanmoins une solution à nous proposer : que le lycéen garde son masque à la maison. Gageons que Blanquer ne tardera pas à ressortir cette brillante idée plutôt que d’appliquer le protocole qu’il a lui-même défini en juillet en cas de circulation intense du virus : des demis-groupes, des semaines A et B et du téléenseignement.
Ce serait sans doute trop simple. Ou ça ressemblerait trop à un confinement. Ou ça nuirait à l’économie.
L’économie qui y passera quand même à la fin, comme l’âne de Buridan.
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