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La chauve-souris

Fenêtre sur cour


La chauve-souris
Image: José Ignacio García Zajaczkowski / Unsplash

Les applaudissements à 20h sont l’occasion pour les confinés d’avoir une vie sociale. Et également les prémices d’une crise sociale sans précédent…


Tous les soirs, les Parisiens ouvrent fenêtres et balcons pour applaudir les aides soignants, les malades. Dérisoire, dit-on. Evidemment ! Mais cela réchauffe. Cela unit. Les voisins qui ne se saluent pas sur le bitume, depuis des années, se découvrent, de leurs balcons. Nous nen sommes pas aux baisers volants. Que serait-ce si, comme dans le roman de Giono (à lire impérativement), on se retrouvait à vivre sur les toits, bivouaquant sous les étoiles, à nouveau visibles sans pollution. Car enfin, reconnaissons-le, comme la dit Ivan Rioufol, à CNews hier : « Que le silence de Paris est beau ! Les sabots des chevaux de la Garde républicaine descendant une rue déserte font, dans le temps ordinaire, une parenthèse enchantée. Sur la place du Panthéon déserte ne voyait-on pas, hier, deux dames jouer au volant ? Prose insignifiante, dira-t-on. Vraiment ? »

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Tous à vos fenêtres

A huit heures pétantes, chaque soir, dans ma rue, un marin, tout droit sorti du roman de Moby Dick, que le confinement a arrêté, contraint et forcé, au-dessus de chez moi, ouvre sa fenêtre et lance les applaudissements. Une fenêtre lui répond, puis une autre, de lautre côté de la rue, une autreTous au balcon ! Une corne de brume lance son appel. Une riveraine, forte en voix, lance son cri de guerre. Un voisin fait des illuminations. Facile, direz-vous ! Eh bien non ! Car la répétition guette le charme de la nouveauté : il faut garder lendurance. Donner du sens à ce rituel. Hier une clarinette tout droit sortie de Sidney Bechet envoûtait le soir qui tombait. 

Confinez-vous ! Lisez ! Revenez à lessentiel ! nous avait dit le président. Les sites Netflix et Youporn navaient pas attendu linjonction présidentielle. Le 25 mars, le site Pornhub rendait gratuites ses prestations dans le monde entier afin que tout le monde lutte contre lennui. Ce « coup de main » altruiste, même si quelque floutage semble avoir été imposé depuis, est ce quon appelle lentraide entre pays. Le printemps sera chaud, à en juger par la une de Têtu. Il y aura aussi un baby boom, prédisent les experts.

Crise sociale en vue

En attendant, en Italie, cest lhécatombe discrète dans les « case di riposo » autrement dit les Ephad.« Les familles italiennes se disent adieu dans lambulance » écrit Figaro Vox. Les pages nécrologiques noircissent des colonnes. Ce même article révèle une comparaison instructive. Une étude montre, en effet, que les deux villes lombardes de Bergamo et Lodi, touchées en même temps par le Covid-19, connaissent pourtant une mortalité très différente. Très industrialisée, en lien avec la Chine et lAllemagne, Bergame est un Wuhan italien. Pour navoir pas isolé les foyers épidémiques et avoir permis aux soignants de travailler sans masques, pour avoir fait le choix de la production économique en refusant un confinement absolu, Bergame connaît une hécatombe. À la différence de Lodi, le centre logistique le plus actif du Nord de lItalie, dont le chiffre de morts na rien de comparable.

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Dans certaines villes italiennes, la télévision montre des couples dansant sur leurs balcons. La vérité, cest que l’émeute et la famine ont déjà ouvert une crise sociale. LItalie est aux abois. Quant à lEurope, divisée, elle est menacée dans sa survie. Mais pourquoi, dira-t-on, les Pays-Bas et la Suède, qui ont refusé le confinement en misant sur le civisme des citoyens, ne connaissent-ils pas lhécatombe ? Elle va venir, disent les augures. LEurope du Nord a forcément du retard sur celle du Sud.  

Tout en me livrant au rituel journalier de lapplaudissement, accompagné, ce soir, de lhymne national italien, je pensais à des airs quon pourrait faire entendre sur les balcons. Dans une intention grinçante : « La Chauve souris » de Strauss dont tout le monde connaît la valse jouée au premier de lan. Ou bien – cest dactualité – : « Le bal masqué » de Verdi. Et enfin, la Suite bergamasque de Debussy dont le fameux Clair de lune.

Après avoir bien applaudi et refermé ma fenêtre, je me suis surprise à me laver les mains.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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