Ma guerre en short. La chronique de Cyril Bennasar.
Aujourd’hui, le sujet est délicat. J’aimerais tenter de rassurer les chanteurs et les chanteuses que l’on confine loin des scènes et des plateaux télé, dont le public est privé, et qui s’inquiètent pour nous. À tous les artistes qui culpabilisent de ne pouvoir jouer leur rôle, remplir leur mission, participer à l’effort de guerre, et par leurs chansons colorer la grisaille de notre quotidien, éclairer la morosité de nos existences, nous faire oublier nos soucis, je dis : Ne vous inquiétez pas. À ces saltimbanques qui vivent mal le lien rompu avec leurs fans, qui « se mobilisent » et « chantent pour encourager les internautes confinés », à ces enfants de la balle qui s’en voudraient de ne pas offrir des « récréations poétiques » à leur public, je dis : Nous tenons le choc. À ceux qui n’arrivent pas à nous oublier, à nous abandonner en rase campagne, à rester planqués alors que c’est la guerre, à nous laisser tomber, je dis : Laissez tomber.
Un peu trop normaux…
Laissez tomber les clips de webcams, c’est une fausse bonne idée. L’image est blafarde, floue et tremblante, la guitare sèche, archi-sèche, le son est pourri et fait des bulles. L’effet est désastreux. Toutes ces expériences unplugged ne sont pas concluantes. Ne vous montrez pas tels que vous êtes, pas coiffés et sans fards, sans projecteurs pour vous arranger le portrait ni correcteurs de notes pour vous redresser la voix, sans musiciens, sans playback, sans danseuses, sans arrangements et sans même avoir été présentés. A capella, sans mise en scène et sans apparats, vous êtes normaux, un peu trop normaux. On vous regarde vous produire sans le moindre appareil, nature, et on se demande : Finalement, pourquoi est-il célèbre lui, et pas le cousin qui avait pris sa guitare aux fiançailles du frangin ?
Et quand on commence à se poser des questions, en viennent d’autres plus vaches qu’on aurait préféré éviter. Thomas Dutronc aurait-il eu cette carrière s’il s’était appelé Durand ? Ou l’aurait-il terminé dans le métro, jeté de la rame par des usagers en colère et coursé par des Roms pour sa guitare manouche ? Comment Vanessa Paradis a-t-elle pu enregistrer autant de disques ? Et en vendre ? Qui a demandé à Cœur de pirate de nous écrire une chanson pour l’occasion « Je sais que tu n’es pas à risque et que tu veux voir tes amis mais si tu le fais, des gens vont mourir », et de nous la chanter ? Qui paye d’habitude pour aller voir un concert de Raphaël ? Qui se connecte pour un live de Chris and the Queens, même gratuitement, même sur petit écran ? À part pour voir, comme autrefois à la foire, une bête curieuse.
Lire la chronique d’hier: Éduquer un enfant aujourd’hui, c’est « l’inadapter »?
Restez chez vous pour de bon. Faites-vous plutôt désirer. Si vous arrivez à vous faire violence et à vous faire rares, nous ne l’oublierons pas. À la guerre comme à la guerre, nous nous débrouillons pour égayer nos tristes vies, et pour nous remonter le moral, nous faisons avec les moyens du bord. Nous ne sommes pas si seuls. Un documentaire sur AC/DC visible en replay sur la chaîne Cstar m’a occupé un soir, et j’ai ressorti mes disques de Brassens pour les mois qui restent. Lui, dommage qu’on ne l’ait plus en vrai, je l’aurais bien vu en concert dans mon salon et sur mon PC, même en webcam, avec une chaise pour tout décor et sa guitare sèche.
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