Une certaine démagogie, au plus haut niveau de l’État, célèbre les sacrifices de la jeunesse en cette période de pandémie. On peut se demander ce qu’en auraient pensé ceux qui ont eu vingt ans à d’autres époques…
« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.
Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. » écrivait dans Aden Arabie Paul Nizan qui devait mourir en 1940, à trente-cinq ans, dans la poche de Dunkerque après avoir rompu avec le PCF au moment du pacte germano-soviétique.
Une drôle de petite musique
Une petite musique, initiée par le président de la République, court aujourd’hui dans les médias sur ce thème. Lors de son allocution télévisée du mois d’octobre, il avait déclaré : « C’est dur d’avoir vingt ans en 2020. » Et de nous montrer qu’après les restaurateurs et les gérants de salle de gym ou de discothèque, le jeune était la victime collatérale du virus la plus à plaindre. On pourrait déjà discuter de cette approche globale d’une génération où l’on retrouve, comme dans toute la société, de fortes différences de classe.
Tenter de gagner quelques billets en allant livrer des pizzas sous la pluie, craindre le moindre contrôle d’identité si on a la mauvaise couleur ou qu’on habite à la mauvaise adresse n’a pas grand chose de commun avec le fait d’avoir vingt ans dans la villa de papa-maman à l’île de Ré, en ayant amené sa petite copine ou son petit copain.
Si on élargit la perspective historique aux générations précédentes, cette considération sur les malheurs d’avoir vingt ans flirte dangereusement avec l’obscène. Dans le beau film de Lucas Belvaux, Des hommes, adapté du roman de Laurent Mauvignier qui ne sortira normalement que le 6 janvier et que nous avons eu le temps de voir en avant-première avant que le rideau de fer du confinement ne tombe à nouveau, il est question de la guerre d’Algérie et du sort des appelés. Ils avaient vingt ans quand ils sont allés se faire trouer la peau pour un pays qui n’était pas le leur et assister aux horreurs d’une guerre coloniale que Belvaux montre d’ailleurs équitablement partagées sur le terrain entre les deux parties.
Le film qui fait l’aller-retour entre aujourd’hui et l’époque, à travers des portraits d’appelés devenus vieux, notamment Depardieu, expose de manière parfaite qu’avoir vingt ans dans les Aurès pour reprendre un autre titre de film de René Vautier en 1972, était tout de même un peu plus éprouvant que d’avoir vingt ans et de suivre des cours en visio pour sauver des vieux, des vieux qui ont, qui sait ?, fait la guerre d’Algérie et qui risquent l’intubation en réa après avoir risqué une balle dans la peau ou un égorgement pendant une garde de nuit. Des vieux d’ailleurs dont les traumatismes liés à cette guerre n’ont jamais été pris en compte, ne serait-ce que sur le plan psychologique.
Bir-Hakeim n’est pas seulement une station de métro
On pourra penser aussi à ceux qui ont eu vingt ans en 1940. Un documentaire repassé sur LCP, à l’occasion de l’hommage rendu à Daniel Cordier, montrait l’engagement de ces jeunes de vingt ans qui refusaient l’abaissement pétainiste. S’être battu à un contre cent à Bir-Hakeim ou avoir risqué une arrestation à Lyon ou à Paris par la Gestapo demandait tout de même un peu plus de courage que d’être privé de teufs et de se rabattre sur un McDo devant Netflix.
On peut même remonter encore à la génération précédente et rappeler, au milieu de tous ces jeunes anonymes qui chantaient « Adieu la vie, Adieu l’amour », la belle figure d’Alain-Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes, mort à vingt-sept ans en septembre 1914 autour de la tranchée de Calonne. Pas sûr, à ma connaissance, qu’il ait eu le temps avant de prendre un apéro sur FaceTime en maudissant l’époque.
Démagogie ambiante
Ce qui est demandé à la jeunesse est d’abord de ne pas contaminer les autres et, pour cela, de changer pour quelques mois de mode de vie. Alors oui, ce n’est pas drôle. Mais ce n’est quand même pas la mer à boire pour une génération qui n’a connu que la paix et un système qui, même en étant abimé, s’est chargé de les éduquer et de les soigner.
On a toujours raison de se révolter, bien sûr, mais d’abord de se révolter contre la démagogie ambiante qui vous plaint pour de bien mauvaises raisons.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !