Vienne: les enjeux d’une conférence


Vienne: les enjeux d’une conférence

Vienne conférence Syrie

Vienne est fidèle à sa réputation séculaire de capitale diplomatique. Le fameux congrès de 1814-1815 bien sûr, son rôle de passerelle américano-russe pendant la guerre froide, et enfin la signature au palais Cobourg de l’accord sur le nucléaire iranien mi-juillet. Les acteurs ont changé, le rôle de l’Autriche est protocolaire mais les charmes de Vienne demeurent.

Pour la première fois en quatre ans, l’ensemble des puissances régionales vont se réunir vendredi avec l’Iran sur le conflit syrien en présence des deux plus grandes puissances militaires du monde : la Russie et les Etats-Unis.

Mohammad Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien ne pensait sans doute pas revenir aussi vite dans la capitale des Habsbourg. Mais cette fois, il n’est plus question de programme atomique. L’Iran n’est plus le mauvais élève qu’on a puni, il est parmi les acteurs qui comptent. Téhéran recueille les fruits de son accord sur le dossier nucléaire. Signé cet été, celui-ci permet à l’Iran de rejoindre la communauté internationale autant qu’aux occidentaux de maintenir l’ancien ennemi dans le cercle vertueux de la normalisation diplomatique. L’ouverture américaine vers l’Iran se poursuit, donnant à Washington une marge de manœuvre face à ses traditionnels alliés saoudien et turc.

Engagé en Irak et en Syrie, l’Iran est devenue incontournable pour la coalition. Sans la force militaire, une diplomatie brasse du vent. Et justement, le rapport de force militaire s’est inversé selon l’aveu même du chef d’Etat-major américain. Les pays du Golfe et la Turquie ont été contraints de céder face à l’offensive diplomatique et militaire russo-iranienne. Ils vont devoir s’assoir à la même table que leurs rivaux persans, parce que la position frontale des débuts n’est plus tenable. En difficulté militaire au Yémen et en Syrie, contestés sur leur propre scène intérieure, leur position anti-Bachar est devenue minoritaire au sein de la Ligue arabe où Egypte, Jordanie, Irak, Liban et Algérie sont partisans d’un règlement politique le plus ouvert possible de la question syrienne.

L’opposition en exil – le Conseil National Syrien –, marginalisée dans le conflit, enrage de voir s’élargir la table des négociations. On lui impose la présence russe et iranienne qui sont pourtant les soutiens de Bachar Al-Assad depuis longtemps. Paris, de son côté, est parvenu in extremis à éviter une humiliation en organisant une réunion bidon au Quai d’Orsay quelques jours plus tôt. Invité de dernière minute à Vienne et écarté du quatuor décisionnel (Turquie, Arabie Saoudite, USA et Russie), la France fera une nouvelle fois entendre sa voix pro-saoudienne vendredi. Souhaitons que l’énième appel au départ de Bachar Al-Assad sera pour Laurent Fabius l’occasion d’un dernier tour de piste.

La réinsertion de l’Iran dans les négociations est aussi une demande russe. Après son offensive aérienne, le Kremlin engage une percée diplomatique qui consacre ses gains militaire. De fait, la Russie a quasiment monopolisé le ciel syrien par ses frappes, elle empêche la Turquie et les pays du Golfe d’appuyer sereinement leurs alliés djihadistes « modérés ». Les Etats-Unis ont eux-mêmes reconnu avoir annulé des missions aériennes pour cette raison. Quant aux frappes françaises, la troisième sur le sol syrien se fait attendre.

Pourtant, l’avancée diplomatique russe est aussi incomplète que son offensive militaire. A priori le gouvernement syrien, le premier concerné par la réunion, ne sera pas représenté. De sorte que l’objet de la réunion n’est pas bien défini. La coalition se réunit-elle contre Daech ou contre le gouvernement syrien ? L’interrogation révèle à elle seule l’impasse de cette nouvelle grand’messe diplomatique. Laquelle risque de se transformer en tribune médiatique à destination des opinions publiques réciproques. L’essentiel a déjà eu lieu ; l’Iran a été invitée.

Faute de trouver un accord global sur le conflit, il faudra sans doute à l’avenir « compartimenter » les zones d’action des uns et des autres. Tant que les grandes puissances se chamaillent à Damas et Bagdad, Daech se maintiendra. La Russie refuse encore à l’Irak l’appui aérien qu’elle sollicite de sa part. Elle se cantonne à la Syrie. Ce qui est sans doute un signal envoyé aux américains ; laissez-nous faire en Syrie, nous vous laissons faire en Irak et au Kurdistan. Vienne pourrait être l’occasion pour la Russie et les Etats-Unis d’un « Yalta moyen-oriental », un partage régional des sphères d’influence. Si les Etats-Unis ne répondaient pas à cet appel et désiraient toujours un changement de régime à Damas, la Russie pourrait être tentée d’ouvrir la porte de l’Irak et du Kurdistan.

*Photo : SIPA.AP21814962_000001



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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