Intermittent paranoïaque de la pensée, Alain Soral souffre d’un gros problème : l’écrit. Tel un André Glucksmann moins chevelu, il manque de style. Comprendre l’Empire, sa dernière livraison, rappelle ainsi les pénibles souvenirs de lecture de Vers la féminisation ? et de Sociologie du dragueur. C’est le même enchaînement de micro-chapitres de quelques lignes qui découpent tout début de réflexion, n’en laissant que le gras indigeste. Une mise en forme adaptée à son Abécédaire de la bêtise ambiante – Jusqu’où va-t-on descendre ? et Socrate à Saint-Tropez – mais qui, ici, donne l’impression de lire un Que sais-je ? sur les tristes temps où nous vivons destiné à un attardé mental.
Petit maître et gros raté
Essayiste brouillon quasi illisible, Soral est néanmoins un homme de parole – capable d’être drôle, pertinent et talentueux. Filmé sur le Net par ses jeunes disciples, conférencier de comptoir et éditorialiste de Flash, il a des choses à dire : sur la France, les Etats-Unis, les musulmans, les juifs, les banques, le sexe de Ribéry, le 11 septembre, Al-Quaïda, les problèmes de peau de Maurice Dantec, les bobos de Carla, les Rolex de Sarko ou sur Marine Le Pen. Même si, sur Marine, il préfère désormais se taire.
A l’heure où Marine Le Pen, qui fait fureur dans les sondages, est sur toutes les lèvres, Soral n’est pas content. Les médias, qui ne l’invitent jamais, ne l’appellent que pour parler du FN. C’est vrai qu’il a appris beaucoup de ce qu’elle sait à Marine. C’est vrai, aussi, qu’il la trouve assez sensuelle. C’est vrai, enfin, qu’il est heureux qu’elle feuillette Comprendre l’Empire. Il a d’ailleurs publié la photo sur son site, fier comme un gamin récompensé par sa maîtresse d’une bonne note. Il faut pourtant savoir dire stop.
S’il avait voulu s’étendre sur Marine, Soral aurait mis en mots leurs longs mois de camaraderie. Le Paquebot vu de l’intérieur, le discours de Valmy de Jean-Marie, les dîners chez Jany à Rueil-Malmaison, les cigarettes de Marine, ses éclats de rire et ses colères, les fachos à l’ancienne et les néo-nazillons à peine post-pubères, les jours de campagne, les nuits où les filles Le Pen dansaient pieds nus sur les tables, la déception finale. La suite, pleine de tendresse lasse, de gueules d’atmosphère et de coups bas, de Chute !, son meilleur texte.
Soral n’a pas écrit ce roman vrai qui aurait pu offrir la même beauté usée et décadente que Le dernier mort de Mitterrand, de Raphaëlle Bacqué. Il ne veut pas être une plume mondaine. Il laisse le rôle à Marc-Edouard Nabe. Soral œuvre dans le concept en action. Il a lu Jean-Claude Michéa et Maurras, Robespierre et les discours d’Ahmadinejad. Il met minable Finkielkraut, Zemmour et BHL d’un simple regard. Il affirme qu’il n’y a que lui, Thierry Meyssan et Dieudonné qui comptent dans l’histoire des idées. Il donne pour preuve les chiffres de vente de Comprendre l’Empire et les places gagnées dans le classement de L’Express.
La nécessité du bouc émissaire
Comprendre l’Empire, il est vrai, cartonne en librairie. Trois ans de boulot, annonce Soral en guise de réclame. Le résultat ? Sa démonstration de la prise de pouvoir de la Finance mondiale sur la politique des nations ressemble à la dissertation d’un honnête connaisseur de Marx. L’esquisse des contours de l’Empire et des mécanismes de sa constitution est presque convaincante. Hugo est cité, avec Baudelaire, Edith Piaf et Bakounine : un peu de classe au cœur du gribouillage. Les notions floues de « gauche du travail » et de « droite des valeurs » doivent quant à elles séduire les déçus de François Bayrou.
Pour le reste, Soral s’embrouille dans les références historiques, tout en raccourcis et vérités tronquées. Penser semble l’ennuyer, écrire encore plus. Il a besoin – c’est son habitude – d’un bouc émissaire. Jadis, sur les plateaux télé foutraques d’Evelyne Thomas, alors qu’il était opposé à la regrettée Isabelle Alonso ou à la très jolie Clémentine Autain, le grand coupable de tous les maux du jour était l’homo pas refoulé, la femme libérée ou l’adepte honteuse de la sodomie. Aujourd’hui, puisque certains grands manitous de la banque soutiennent la politique de Bibi Netanyahu, puisque l’annuel dîner du CRIF est un spectacle guignolesque et puisque les excités de la Ligue de Défense Juive lui cherchent des noises, Soral s’énerve : l’ennemi, c’est le juif, les juifs, Israël, les sionistes, la liste de Schindler, Freud, Rockfeller, Arthur, Woody Allen… Il en oublie.
A chaque page de Comprendre l’Empire, il n’en peut plus de leur cracher dessus, malade bouffé de troubles obsessionnels compulsifs oubliant malheureusement, très tristement pour lui et ses lecteurs, que le crachat ne doit pas empêcher de soigner élégamment sa pensée et ne dispense pas d’avoir du style, cette intelligence profonde et légère qui allume la mèche de l’esprit.
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