Michel Barnier a formé son gouvernement. La gauche protestataire continue de prétendre qu’on lui a volé l’élection. La droite récupère d’intéressants ministères dont l’Intérieur. Le bloc macroniste se révèle de plus en plus fissuré.
La formation du gouvernement Barnier ne s’est pas faite sans difficulté. A l’heure où celui-ci est enfin connu, rares sont ceux qui parient sur sa longévité. Non que Michel Barnier soit un mauvais choix. Au contraire. En des circonstances aussi critiques, sa désignation relève d’une forme de sagesse. Il laisse le psychodrame permanent à LFI et à la gauche, le rôle de la drama queen à Jean-Luc Mélenchon. Lui réinstalle une image plus « vieille France » de l’incarnation politique, et nous lui en sommes tous gré. C’est un homme de devoir qui se tient devant nous et cela nous change. Pour autant, si les Français ont applaudi ce choix, le Premier ministre devenant dès sa nomination « personnalité politique préférée des Français », tous les comportements de la classe politique montrent qu’ils en sont déjà au coup d’après et même au coup d’après le coup d’après…
Postures
En effet, l’épisode de la composition du gouvernement prouve bien que nos politiques n’ont pas conscience de notre situation collective. Les appels à la responsabilité des uns et des autres ne sont que des postures. Personne n’est prêt à sacrifier quoi que ce soit pour l’avenir du pays. Voilà pourquoi aucun poids lourds de la politique n’est venu. Pour donner le coup de talon qui fait remonter à la surface, encore faut-il avoir touché le fond. La conscience de ce qui nous menace et la réalité de notre déclin n’est pas encore suffisamment forte pour déplacer les lignes de force, rendre possible ce qui ne l’était pas, pensable ce qui paraissait inatteignable. C’est peut-être au pied du mur qu’on voit le maçon, mais c’est quand ils sont incrustés dans les briques que les politiques se révèlent. Nous n’y sommes pas encore, ce qui signifie que les ambitions personnelles des uns et des autres sont plus fortes que l’appel à un hypothétique sens des responsabilités. En politique, on voit souvent les catastrophes venir de loin mais on n’opère les changements nécessaires qu’après l’effondrement. Car c’est souvent seulement à ce moment-là que les gens acceptent de prendre leur perte. Il faut dire que c’est souvent parce qu’elle s’est réalisée. La nécessité du changement de logiciel se fait sentir bien avant l’impact, mais la réalité du changement dans l’action arrive en général après.
A lire aussi, Eric Zemmour: «La politique est l’ennemie du peuple»
Ainsi ce gouvernement n’offre quasiment aucune grille de lecture. On se rapproche du mur mais on ne mange pas encore les briques. Ceux qui le composent ont des histoires trop légères et pas assez signifiantes pour transmettre un quelconque message à la nation. Ils sont pour la plupart des inconnus, ce qui ne présage pas de leur capacité, mais ne donne pas une idée très claire de ce que porte ce collectif gouvernemental. A force de ne vouloir heurter personne, il est pour l’heure dépourvu de ligne de force et les soupçons de la gauche lui tiennent lieu de capacité de fermeté.
Le résultat de 15 jours de tractation est d’ailleurs conforme à la feuille de route fixée : ne pas trop crisper la diversité des alliés. Michel Barnier, expérimenté et capable de trouver des compromis dans la tension, comme il l’a prouvé avec le Brexit, possède les qualités nécessaires, mais il va falloir compter avec un président sans colonne vertébrale ni vision, susceptible de tout et surtout de n’importe quoi et un Gabriel Attal qui pense le pouvoir suprême à sa portée et attend que la décomposition du PS lui permette d’arrondir sa pelote En marche. Bien sûr, il est de bon ton dans la période d’insister sur la nécessité d’un gouvernement de large rassemblement, d’union nationale.
Mais pour cela encore faut-il savoir pour quoi ou contre quoi se fait cette union. Contre le RN, selon la logique du front républicain ? Il aurait alors fallu porter au pouvoir un parti, LFI, qui a remis la dynamique antisémite au cœur de la constitution de son électorat et fait de la haine des Juifs un levier politique. Il aurait alors fallu porter au pouvoir une gauche qui a fermé les yeux sur la trahison de son histoire et de son honneur, une gauche qui surtout n’a pas gagné les élections. Et puis quid du RN. A côté de LFI et de ses outrances, le parti parait très assagi, mais comment justifier une participation ou un soutien quand on a mobilisé tout l’imaginaire de la Seconde Guerre mondiale pour inviter les Français à « faire barrage » au fascisme, comme si on assistait au retour d’Hitler à travers les succès du parti de Marine Le Pen. Quand un pays est aussi divisé et que les clivages ont été exacerbés, seul le sentiment à la fois de la menace et de la nécessité peut faire retrouver le chemin du commun. Nous sommes tombés bas, mais nous n’en sommes pas là.
Vieux réflexes
Les vieux réflexes politiciens sont donc revenus. D’un côté, à droite de l’échiquier, on a l’habitude de gouverner. Lorsqu’on lui confie les rênes, sa logique n’est pas forcément le partage, elle lui préfère la cohésion politique. De l’autre, la macronie, n’est jamais parvenue à incarner un courant de pensée défini. La désormais très grande faiblesse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron a fait ressurgir les rivalités et l’expression très diverse de sa majorité, chaque élément du puzzle se projetant déjà vers la présidentielle.
Le nouveau gouvernement se retrouve donc en situation extrêmement précaire car à sa majorité très relative s’ajoute une pression constante en son sein et autour de lui. La gauche, de façon assez ridicule, ne cesse de hurler au déni de démocratie. Alors que non seulement elle n’a pas de majorité, mais surtout qu’elle n’a pas su se mettre en ordre de marche. Elle s’est même ridiculisée en allant chercher une parfaite inconnue pour une fonction aussi importante dans un temps si particulier. Il n’en demeure pas moins vrai qu’elle n’aura de cesse de protester, installant un (très) mauvais climat au parlement. « L’heure est grave, l’extrême droite est aux portes du pouvoir » nous dit-elle, mais ça ne la contraint aucunement à la retenue, sans parler de tenue. Elle hurle aussi à la « droitisation », laissant entendre un recul sociétal généralisé sur les droits des homosexuels, l’IVG, la PMA… Or, aucun de ces droits n’est menacé. Alors, pourquoi ce jeu malsain ?
A lire aussi, Elisabeth Lévy: Antisémitisme : aux grands maux les grands mots
Parce que quand vous n’avez ni projet, ni idée, ni même une direction, résoudre des problèmes qui n’existent pas ou que vous créez pour l’occasion est une des meilleures méthodes pour mobiliser des militants et vous targuer d’immenses succès. Succès d’autant plus appréciables qu’ils ne vous ont rien coûté, puisqu’ils sont en trompe-l’œil. Le meilleur exemple récent de cela est la constitutionnalisation de l’IVG. Le droit n’était pas menacé, la constitution n’est pas le catalogue du désirable mais la référence en matière d’organisation des pouvoirs, donc n’est pas faite pour sanctuariser ce type de droit, mais qu’importe, l’essentiel est que l’on a fait croire aux Français qu’il venait là de s’accomplir un grand geste politique. Alors que le seul vrai grand geste politique revient à Simone Veil. C’est cette tactique à la Gribouille qui est mise en œuvre par la gauche. Cela consiste à hystériser certains dossiers en faisant croire aux groupes concernés que leurs droits sont menacés : droits des homosexuels, accès à la PMA. Puis on hurle que l’on ne laissera rien passer. Ce qui est facile puisque rien n’est en route. Et enfin on explique que l’on a écarté le danger, grâce à sa mobilisation. Cela permet d’occuper le terrain, sans travailler, sans réfléchir, sans agir réellement, mais on marque des points auprès de ses groupes cibles, tout en travaillant à instituer une méfiance généralisée et à distiller un sentiment de menace dans les groupes minoritaires. Le sociétal se prête parfaitement à ce genre de manipulation.
Pendant ce temps, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont plutôt discrets
Michel Barnier, en plus de gérer une majorité éruptive et une gauche protestataire stérile, doit également faire avec les grands vainqueurs des Européennes et des législatives, le Rassemblement national. Lui n’a qu’à regarder les choses se déliter en évitant les erreurs. Il sait qu’il est potentiellement le prochain vainqueur. Son mauvais score au second tour des législatives n’est dû qu’à un nouvel et ultime (?) réflexe de barrage construit sur la culpabilisation. Mais lutter contre le soi-disant fascisme auprès d’authentiques antisémites a porté un vrai coup à un dispositif fondé sur une certaine idée du bien en politique. Idée qui a été durablement piétinée.
La faiblesse de la majorité relative à droite, voulue par le président de la République, est aussi liée à cette donnée de départ qu’est l’exclusion, voire la stigmatisation de 11 millions d’électeurs ayant porté leur choix sur des élus du RN. Le Premier ministre n’est pas non plus aidé par une Assemblée nationale qui, au lieu de prendre acte du poids démocratique des élus du RN, a préféré largement l’exclure des distributions de postes à responsabilité.
En résumé, tout le monde explique que la crise démocratique traversée, voire institutionnelle, oblige à la responsabilité, mais en réalité personne ne prend réellement les mesures en rapport. Ce tableau laisse penser que la bonne volonté du Premier ministre ne sera pas suffisante, mais nul ne lui en voudra de ne pas réussir là où il ne pouvait qu’échouer. Le seul point qui mette tout le monde d’accord est que le responsable de tout cela est un président qui n’a jamais réellement su se mettre au diapason d’une fonction qui, en concentrant tant de pouvoirs, dirige toutes les flèches contre elle en cas de difficultés.
Pire, à chaque fois que crise il y eut, il a donné le sentiment que lui seul pouvait comprendre et apporter une réponse appropriée. De ce constat découle une conséquence naturelle : il est le problème. Dans ces conditions il est très probable que le Premier ministre ne soit que l’un des derniers éléments du chemin à parcourir pour faire décanter la situation. Il s’agit d’accumuler les échecs pour que les cartes puissent être totalement rebattues et redonnent ainsi à un nouvel élu, la légitimité d’agir. Tout le monde parie donc que le président démonétisé sera contraint de redonner la parole au peuple.
Il n’y a donc pas grand-chose à attendre d’autre du gouvernement Barnier que l’établissement d’un budget et la gestion des affaires courantes. Espérons néanmoins qu’il conserve ce style plus apaisé qui évitera que la prochain épisode ne se déroule dans un trop grand tumulte.