Les compositeurs vivants sont les grands absents des programmations d’orchestres et d’opéras. Ces créateurs sont abandonnés, la politique culturelle préférant les illustres morts pour remplir les salles. Le compositeur et chef d’orchestre Laurent Couson tire la sonnette d’alarme.
Un requiem de Mozart, une symphonie de Beethoven, Carmen, Le Barbier de Séville, autant de valeurs sûres de la programmation pour remplir les salles de musique classique.
Les saisons offrent donc souvent en boucle les mêmes œuvres.
Quelle vision préside donc à cette politique culturelle qui ne permet pas aux créateurs nouveaux d’accéder au public ? Les compositeurs vivants, qui essayent de perpétuer l’écriture de partitions pour orchestre sont, de plus en plus, les grands absents des programmations des orchestres et des opéras. Si nos chers Mozart, Beethoven ou Verdi étaient vivants aujourd’hui, nous n’aurions pas le bonheur de les découvrir…
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Les commandes d’œuvres originales ont peu à peu disparu des budgets publics alloués aux orchestres ou aux opéras. Il est incompréhensible que les structures classiques publiques ou subventionnées n’aient pas l’obligation dans leur cahier des charges de programmer au moins 30 % d’œuvres de compositeurs vivants. Ces maisons font vivre des musiciens, des chanteurs, des techniciens, des centaines de salariés administratifs, mais aucun compositeur. N’est-ce pas, pourtant, le métier le plus indispensable de cette chaîne de production ?
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Faute d’une politique culturelle tournée vers la découverte, la nouvelle musique pour orchestre s’est raréfiée. Il est vrai qu’après-guerre, le milieu de la musique classique s’est lui-même coupé du public en proposant des créations pour initiés, qui semblaient avoir pour objectif d’être le plus rébarbatives et le moins intelligibles possible.
Aujourd’hui, seule l’obsession de la féminisation crée parfois une brèche dans cette indifférence. Nous voulons tous plus de femmes compositrices et cheffes d’orchestre, mais comment accepter que, dans ce métier si exigeant, la qualité intrinsèque du travail ait moins de poids qu’une proposition dite « genrée » ?
De plus, la télévision a décrété que cette musique ennuyait les téléspectateurs. Dès lors, l’invitation d’un artiste classique sur un plateau n’est possible que si et seulement si il est accompagné d’un chanteur de musique actuelle. Il faut le variétiser, en sacrifiant l’essence de sa musique.
Le compositeur est devenu dispensable
Même « Le grand échiquier », autrefois émission classique de référence où l’on entendait jouer Rostropovitch, Perlman ou Maurice André, est désormais construite par l’assemblage de capsules « chansons » où l’orchestre joue des arrangements autour des vedettes en vogue. Le service public doit-il faire la promotion des artistes et musiques à la mode ou œuvrer à une élévation culturelle ?
Il en va de même pour les musiques de film : Où sont les Michel Legrand ou Georges Delerue aujourd’hui ? Autrefois, les réalisateurs concevaient la musique du film comme un élément essentiel du récit. Aujourd’hui, on a tous un ami qui bricole avec des logiciels à la portée de tous, la musique n’étant plus qu’un jeu de mikado à assembler. Le compositeur semble ne plus servir à rien. Bientôt, l’intelligence artificielle nous aura tous remplacés. C’est déjà le cas dans la musique pour la télévision et la pub, qui faisait vivre des centaines de compositeurs. Le bonheur se trouve maintenant dans les banques de données où l’algorithme remplace la composition autant que nos cœurs battants.
Les compositeurs, et tous les créateurs, sont des espèces en danger. Et avec eux, tout ce qui fait de nous des humains – l’exigence d’un langage écrit, l’acharnement de l’instrumentiste, l’effort d’un compositeur à sa table.
L’influenceur, le polémiste remplacent l’artiste dans l’espace public. Dans l’indifférence, voire avec la bénédiction du pouvoir et des partis politiques.
La musique vivante veut encore produire de l’émerveillement et révéler au monde les vibrations essentielles à nos vies.
Ne nous laissez pas disparaître, ne vous laissez pas mourir.