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Complot rose-brun dans l’édition française


Complot rose-brun dans l’édition française

Décidément, le ventre qui a enfanté la bête immonde est encore fécond. Sommes-nous donc périodiquement condamnés à revivre ces offensives larvées qui veulent mettre à genoux l’Empire du Bien, du Beau et de la Diversité. Oh, bien sûr, nous savons depuis le second tour des élections de 2002, quand Le Pen est arrivé en finale, que le fascisme est à nos portes, malgré vingt ans de vigilance antiraciste, de films recommandés par Télérama et de romans concernés de Didier Daeninckx. Bien sûr, nous avons poussé un soupir de soulagement quand des centaines de milliers de jeunes qui n’avaient jamais voté le firent avec leurs pieds démocrates entre les deux tours et repoussèrent l’hydre infâme, offrant un score sud-américain au président Chirac.

Mais le fascisme n’est pas seulement une bête immonde, c’est aussi une bête rusée, une vieille taupe mutante et parasitaire, capable de s’emparer d’un organisme sain et de le transformer en zombie de l’intolérance, de la haine et de l’exclusion, un peu comme dans l’immortel chef d’œuvre cinématographique de Don Siegel, L’invasion des profanateurs de sépulture.

Les lecteurs de Causeur se souviendront sans doute de l’effroyable complot rouge-brun qui au début des années 90 faillit submerger notre démocratie française. Ce complot unissait dans son lit les cheveux blonds, les cheveux gris d’intellectuels dévoyés, ex-communistes, crypto-fascistes, païens, bretons, russes, voire talentueux. On pouvait les trouver par exemple dans les colonnes de L’Idiot International, sous la plume de Jean-Edern Hallier, son chef d’orchestre nihiliste, des articles toujours plus anti-mitterrandiens, ce qui était bien la preuve de son aberration mentale. Lui qu’on croyait héritier de Chateaubriand était en fait un disciple secret d’Ernst Von Salomon, un réprouvé rêvant de Corps francs pour en finir avec ce modèle de société humaniste que représenta le second septennat de François Mitterrand, celui qui vit devenir ministre le camarade Bernard Tapie.

Ces rouge-bruns s’illustrèrent dans toute leur infamie lors du conflit en ex-Yougoslavie, prononçant régulièrement l’éloge des Serbes qui étaient alors le dernier peuple national-communiste d’Europe et qui en reçurent un juste châtiment quelques années plus tard grâce à des bombardements massifs de l’Otan. Au premier rang d’entre eux se trouvait un certain Edouard Limonov. D’aucuns le tiennent pour un écrivain majeur de ce temps, c’est surtout un monstre et ceux qui diront que ce n’est pas incompatible sont bons pour un stage de rééducation démocratique à la prochaine université d’été du Modem.

Longtemps, Limonov, qui est fourbe et cruel comme tous les rouge-bruns, fit illusion. En effet, il avait fui l’Union Soviétique pour New York en 1975 et New York pour Paris en 1980. Le problème, c’est qu’à la lecture un peu sérieuse de romans comme Autoportrait dans son adolescence, L’Etranger en sa ville natale et surtout La Grande époque où il trace le portrait ému de son père officier du NKVD, on s’aperçut avec horreur qu’il était dissident, certes, mais parce qu’il ne trouvait plus l’URSS assez stalinienne à son goût. Déjà, il voyait sous Brejnev percer Gorbatchev, et sous Gorbatchev, Elstine ce modernisateur qui rendit la Russie si attrayante en dérégulant l’économie et l’espérance de vie des plus pauvres.

Et la voilà chez nous, cette infâme créature, pervertissant nos écrivains et allant jusqu’à faire le coup de feu sur les hauteurs de Sarajevo ou en Transnistrie, cette région russe de la Moldavie qui voulait rester russe. Heureusement, nombre de Vigilants signèrent de nombreuses pétitions, des proscriptions furent dressées et des interdictions professionnelles prononcées. Le bloc central médiatique qui protège notre cher Empire du Bien (Le Monde, Libé, Télérama pour faire vite) non seulement ne parla jamais des livres de Limonov mais, en plus, contribua à réduire quasi-militairement cette atroce aberration idéologique qu’il avait suscitée. Un ouf de soulagement fut poussé, Limonov rentra en Russie et comme il avait décidément le diable au corps, il y créa aussi sec son Parti National-Bolchévique, fut arrêté et emprisonné entre 2001 et 2003.

On aurait pu penser que l’affaire allait s’arrêter là. Il y eut bien quelques pétitions que l’on fit circuler en France pour sa libération mais, heureusement, nos pétitionnaires professionnels gardèrent leur stylo au chaud car autant on a le droit de signer pour un mauvais écrivain démocrate autant il vaut mieux éviter quand il s’agit d’un très bon idéologiquement suspect.

Mais, non, le cauchemar continue et il nous revient de plein fouet ces jours-ci avec le dernier livre de Limonov, Mes Prisons, publié aux éditions… Actes Sud ! Oui, mesdames et messieurs, aux éditions Actes Sud ! La maison fondée par Hubert Nyssen était pourtant réputée sûre. Imaginez un peu, on y édite Berberova, Paul Auster, beaucoup de Scandinaves champions du partage des tâches domestiques. Autant dire que cette maison avait parfois des allures d’annexe littéraire de « Désirs d’Avenir » ou de la défunte Camif. Des livres de chez Actes Sud dans votre bibliothèque, c’était une assurance donnée aux gens qui venaient chez vous : vous étiez fréquentable, forcément fréquentable.

Et là, tout d’un coup, comme un bloc d’abîme, Limonov… `

Ce n’est plus d’un complot rouge-brun dont il s’agit ici mais bel et bien d’un complot rose-brun dont Actes Sud, qui avait déjà réédité en poche un roman posthume de l’infâme ADG, J’ai déjà donné, est devenu par on ne sait quelles obscures manœuvres le vaisseau-amiral.

C’est un jour tragique pour l’édition et la démocratie. Mais nous nous battrons. Jusqu’au bout. Les stylos pétitionnaires sont déjà dégainés. Actes Sud n’a qu’à bien se tenir.

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André Epaulard est président du CULET (Comité pour une littérature éthique). Il est actuellement en campagne en vue d’être élu sénateur Modem pour les Français de l’étranger.

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