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Communisme, pour mémoire…


Communisme, pour mémoire…

Je me suis délecté, au mois d’août, à écouter, sur France Culture, la série d’émissions « Vents d’Est », réalisée par Jean-Pierre Thibaudat et Laetitia Cordonnier. Anticipant de quelques mois la déferlante des célébrations médiatiques du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cette série revisitait le « socialisme réellement existant », grâce à des documents d’archives et des entretiens avec des témoins, célèbres ou non, de la période 1945-1989 en Pologne, Hongrie, République Tchèque et ex RDA.

La vie quotidienne des « vraies gens » au temps du communisme – on devrait dire, d’ailleurs, des communismes, tant les régimes qui s’en réclamaient furent divers, dans l’espace et dans le temps, fut un continuel aller-retour entre le tragique et le cocasse, l’espoir et la déprime, le repli sur soi et la quête de l’autre.

Il ne manquait à cette évocation sonore que l’âcre odeur du chou bouilli des cantines se mêlant, dans l’hiver embrumé, à la puanteur soufrée des fumées du lignite enfourné dans les chaudières par des alcooliques affectés à cette tâche pour l’éternité.

Cette mémoire du communisme réel appartient, certes, au premier chef à ceux qui ont vécu tout ou partie de leur vie dans les pays qui y furent soumis, mais pas uniquement.

Il existe, aussi, une mémoire occidentale de cette période pour ceux que les circonstances amenèrent à partager, pendant un temps significatif, le quotidien des citoyens des pays situés de « l’autre côté du rideau de fer », comme on disait à l’époque.

Il ne s’agit pas, bien sûr, des touristes ordinaires ou de luxe, ni des invités de marque choyés par les gouvernements à des fins propagandistes, ni même des diplomates contraints, par leur fonctions, d’évoluer dans des ghettos dorés étroitement surveillés. Tous ceux-là n’ont pu avoir qu’une vision furtive, ou déformée d’une réalité sociale dont ni les statistiques, ni la presse, ni la littérature officielle ne rendaient compte.

Une exception notable, cependant, à cette impossibilité consentie d’aller regarder derrière le décor planté par le pouvoir à l’intention de ses « amis » occidentaux nous été offerte par l’émouvant petit livre de Paul Thorez, le fils de Maurice, Les Enfants modèles qui raconte l’enfance et l’adolescence des rejetons du secrétaire général du PCF lors de l’exil familial à Moscou. C’est la Russie stalinienne vu du côté des enfants de la nomenklatura avec ses écoles réservées, ses camps de pionniers au bord de la Mer noire, qui conduira peu à peu, dans une démarche empreinte de culpabilité, le jeune Thorez à s’éloigner sans bruit mais dans la douleur, de l’idéal communiste incarné par ses parents.

Le « petit peuple » des Occidentaux passés à l’Est pour une période relativement longue, plusieurs mois ou plusieurs années, est composé de personnes très diverses : étudiants venus compléter leur formation linguistique, universitaires et chercheurs, techniciens et ingénieurs expatriés dans le cadre des échanges économiques et quelques exilé(e)s par amour ayant choisi de vivre leur idylle à la mode socialiste. Ceux-là, dont je fis partie comme étudiant germaniste dans un temps que les moins de quarante-cinq ans ne peuvent pas connaître, étaient lâchés, sous surveillance discrète bien sûr, dans le pays réel, partageant le sort commun de leurs homologues du cru, avec cependant, la liberté de mouvement illimitée conférée par la possession d’un passeport émis dans un pays capitaliste.

Je me dois d’avouer aujourd’hui que cette situation était plutôt confortable. Nous subissions le rationnement des denrées de base, comme le beurre ou la viande, qui était encore la règle dans la RDA des années soixante, mais en quelques heures de train (trois pour parcourir 150 km !) on se retrouvait au KDW, le grand magasin de Berlin-Ouest, au rayon gastronomie qui n’a rien à envier à celui du Bon Marché de Paris, pour dépenser le mandat en devises convertibles adressé par des parents inquiets pour la bonne santé de leur descendance dans ces pays de pénuries…

Oserais-je dire que certains de ces « sauteurs de mur » profitaient de cette absence de bonnes choses, ou même de produits banalement courants, comme le café soluble, dans les tristes supermarchés orientaux pour ramener le « petit plus » susceptible de vaincre les dernières résistances de la blonde convoitée…

Les Français bénéficiaient d’un avantage non négligeable pour leur adaptation dans une société où les codes n’étaient pas aussi simples que la propagande officielle le proclamait. Ils profitaient de la présence importante d’étudiants africains ou maghrébins francophones qui recevaient des bourses pour qu’ils deviennent les propagateurs du communisme dans leur pays d’origine. Il va sans dire que la plupart d’entre eux ont empoché leur diplôme et sont allés le monnayer dans des contrées où le communisme est un gros mot, comme les Etats-Unis, le Canada ou les pays du Golfe… Ceux-là vous mettaient bien vite au parfum des petites combines permettant de contourner la bêtise bureaucratique à front de taureau. Bientôt, comme partout dans le monde où ils sont plongés dans une culture étrangère, ex-colonisateurs et ex-colonisés se retrouvent dans une commune aversion mêlée de cynisme vis-à-vis des mœurs et comportement des gens du pays qui les a accueillis. Un communiste allemand est d’abord un Allemand, sinon que le communisme accentue quelques uns des traits les plus caricaturaux de la germanité : dogmatisme, absence d’humour, propension à pontifier sur tous les sujets, même les plus triviaux. Quant aux anticommunistes allemands restés coincés par la construction du Mur, mieux valait s’en méfier ! Leur sollicitude à votre égard ne pouvait que les conduire tôt ou tard à solliciter votre aide pour un plan foireux visant à les faire passer à l’Ouest…

Vivre à l’Est vous permettait également d’éprouver quelques émotions esthétiques à prix cassés : une mise en scène de Brecht par Benno Besson au Berliner Ensemble ou La Dame de pique de Tchaïkovski à l’opéra comique de Berlin-Est au temps où Walter Felsenstein en était le directeur…

Il fut un temps ou, pour quelques expatriés privilégiés ou peu scrupuleux, un passage par Moscou ou Varsovie vous permettait d’accumuler un petit pécule de nature à vous faciliter la vie au retour en France. Trois ans au siège de l’AFP à Moscou suffisaient pour s’acheter un appartement à Paris au temps de Brejnev et des notes de frais dépensées au cours du rouble « au noir » mais remboursées au cours officiel dix fois supérieur. Un petit tour au marché de la rue Polna, à Varsovie, avant de revenir pour les vacances payait une bonne partie du crédit, grâce au bénéfice effectué sur quelques boites de caviar revendues à ceux que l’on n’appelait pas encore les bobos.

C’était le bon temps du communisme dont profitèrent ceux qui étaient nés trop tard pour avoir pu connaître le bon temps des colonies.

Septembre 2009 · N°15

Article extrait du Magazine Causeur



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