Que deviennent les hommes à l’heure où la révolution des mœurs – la révolution morale – souffle en tempête sur l’Occident?
L’autre jour, la jeune mère de famille qui, deux heures par semaine, vient faire le ménage dans mon appartement était toute joyeuse. En consultant le site du Sénat pour se distraire, elle avait appris que, dans les conseils d’administration des entreprises relevant de l’indice boursier de la Bourse de Paris, le SBF, la proportion de femmes qui était de 13 % en 2010 atteignait désormais 46 %. J’ai tenu à la féliciter de ce remarquable progrès. Elle eut l’honnêteté de me répondre qu’elle n’y était pour rien, que c’était le résultat de la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance, dite loi Copé-Zimmermann. Le 27 janvier 2023, ce sera son douzième anniversaire, s’est-elle réjouie, émerveillée que le plafond de verre ait été brisé. Et ce qui redoublait sa joie, c’est que, grâce à la politique des quotas imposée par cette loi, la France se situait à présent au premier rang des grands pays mondiaux en termes de mixité des conseils. La proportion n’est en effet que de 40 % en Norvège, de 36 % en Allemagne, de 28 % aux États-Unis et de seulement 13 % en Chine, pays manifestement arriéré en matière d’égalité entre les sexes.
Bien sûr, l’idéal serait d’embaucher un migrant
J’ai naturellement partagé sa fierté d’appartenir à un pays où la mixité des conseils atteint 46 %, tout en lui demandant ce qu’une femme du peuple comme elle pouvait y gagner. Elle a ouvert de grands yeux : « Avez-vous conscience, s’est-elle exclamée, que jusqu’alors les femmes étaient discriminées, et qu’elles auront maintenant autant de chances que les hommes d’accumuler des jetons de présence ? Si ce n’est pas de l’égalité, qu’est-ce que c’est ? » À quoi j’ai répondu que cela concernait des femmes fortement diplômées, ce qui n’était pas son cas. Mon argument ne l’a nullement ébranlée. Elle m’a rétorqué que peu importait la différence des situations, car ce qui comptait, c’étaient les femmes dans leur ensemble, toutes catégories sociales confondues. D’ailleurs, elle faisait aussi le ménage chez une sous-directrice d’une entreprise du CAC 40 qui l’avait augmentée l’an dernier d’un euro et d’un autre cette année pour compenser l’inflation. Bien sûr, sa patronne aurait préféré prendre un migrant, qui lui serait revenu moins cher, mais ces augmentations volontaires, n’était-ce pas la preuve d’une communauté de destin ? Et ne fallait-il pas applaudir une révolution des comportements où les dominées, par exemple la sous-directrice d’une entreprise du CAC 40, se trouvaient quasi à parité avec les dominants, par exemple le mari de ma jeune femme de ménage qui, en tant que chômeur, bénéficiait d’une indemnité enviable alors même qu’il ne travaillait pas ?
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À vrai dire, je n’avais jamais pensé que la lutte des sexes relèguerait la lutte des classes au rayon des vieilleries bonnes à jeter. Ni que l’Union européenne, scrupuleusement suivie par notre Assemblée nationale, s’autoriserait à décider des mœurs auxquelles doivent se plier les peuples qu’elle est censée non pas asservir, mais servir. Il m’a toujours semblé qu’il y avait comme un abus dans cette marche en avant vers l’abolition de toutes les différences que jamais rien, aucune prudence, aucun respect des coutumes les mieux établies, ne vient tempérer. Cela dit, comment ne pas saluer le fait que, en tant que femme, une mère de famille sans le sou partage avec une dirigeante d’un grand groupe une éclatante victoire sur le patriarcat occidental qui, sous ses airs accommodants, est le pire de tous ? Peu importe, en vérité, que le mari de la première soit au chômage, que leurs enfants n’aient à peu près aucune chance d’acquérir un diplôme bien rémunérateur et que leur patrimoine n’excède pas le millième de celui dont jouit la seconde, mariée à un industriel membre du Siècle. Peu importe même que la première ne tire aucun profit des avantages matériels et symboliques qu’apporte à la seconde la priorité absolue accordée à l’égalité entre les sexes plutôt qu’entre les catégories sociales. Ce qui est essentiel à l’harmonie d’un pays comme le nôtre et conforme à la justice la plus élémentaire, c’est que les dominées, quelles qu’elles soient, obtiennent exactement les mêmes droits et les mêmes avantages que les dominants.
Kiddy Smile adopte la jupe écossaise
Bien entendu, il existe encore entre les hommes et les femmes des inégalités de salaire qu’il est urgent d’éliminer. Comme le montrent des analyses statistiques disponibles auprès de l’Insee, la réalité de ces inégalités mérite d’être largement nuancée[1]. Mais ce point est secondaire. Ce qui prime, c’est le principe. Tant que la moindre inégalité entre les sexes subsistera, les dirigeantes de groupes internationaux, les directrices d’administrations centrales, les présidentes de grands organismes ne seront pas moins victimes du patriarcat que les caissières des hypermarchés ou les ouvrières des conserveries bretonnes. Et que cette situation d’humiliante infériorité puisse perdurer est intolérable.
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Je sais bien que les éternels mauvais coucheurs objecteront que, dans un pays confronté aux menaces de partition ethnique, à la crise de l’énergie, à la paupérisation des classes moyennes, au réchauffement de la planète ou à la guerre en Ukraine, l’urgence se situe ailleurs que dans le traitement prioritaire de questions de société apparemment mineures. Mais de telles objections sont irrecevables, parce qu’elles négligent les progrès de l’égalité qui donnent enfin aux hommes le droit de porter des jupes sans avoir besoin d’être Écossais. À preuve, Kiddy Smile, chanteur et figure de la scène « voguing[2] », qu’on voit poser ainsi vêtu, le 29 novembre, à l’Institut français de la mode. Nul doute qu’à dégenrer les styles, à créoliser les identités, à danser le tango en remplaçant les mots « hommes » et « femmes » par leaders et followers, comme à Sciences-Po Paris, ou, last but not least, à mixer selon des quotas impérieux les conseils d’administration et de surveillance, les lendemains chanteront alléluia.
[1]. Voir Simon Georges-Kot « Écarts de rémunération femmes-hommes : surtout l’effet du temps de travail et de l’emploi occupé », insee.fr, 18 juin 2020, et Cyrille Godonou, « Le mythe de l’écart salarial hommes femmes de plus de 20 % “à travail égal” », cyrille.godonou.free.fr.
[2]. D’après Wikipédia, le « voguing » est un style de danse urbaine consistant à faire, en marchant, des mouvements avec les bras et les mains.