Je n’ai pas vu Exhibit B (faut-il dire l’exposition ? la pièce ? le montage ? les tableaux d’une exposition ?) du Sud-Africain Brett Bailey, qui après Avignon en 2013 se retrouve ces derniers jours au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, puis au 104, à Paris. J’l’ai pas vu, j’l’ai pas lu, mais j’en ai entendu parler — par Le Canard enchaîné de ce mercredi et par Marianne tout fraîchement sorti(e) dans les kiosques.
De quoi s’agit-il ? De saynètes successives (le public se balade d’un tableau vivant à un autre) exposant les horreurs de la colonisation, qui n’a pas eu, c’est le moins que l’on puisse dire, que des effets positifs. « Chaque tableau rappelle une horreur, un crime colonial » : un esclave qui porte une muselière, sous le titre « l’Âge d’or néerlandais », ou un homme assis, un panier sur les genoux, plein de mains coupées, sous le titre « l’Offrande » — « les mains de villageois congolais qui ne récoltaient pas le caoutchouc assez vite » : lire sur le sujet le remarquable Albert Ier, roi des Belges de Jacques Willequet. Bref, rien que du politiquement correct.
Eh bien, pas même, à en croire les ayatollahs de l’antiracisme. Après Londres, où quelques abrutis se sont émus du spectacle de la Vénus hottentote comme en ses plus beaux jours d’exposition coloniale, c’est à Paris que des énergumènes ont forcé la porte du théâtre — au point que Jean-Luc Porquet, l’honorable correspondant du Canard, n’a pu entrer à Gérard-Philipe que sous escorte policière. « Zoo humain », disent les khmers noirs.
C’est que Brett Bailey est Blanc — quel culot, être blanc et parler des Noirs ! À ce titre, il faut récuser Montesquieu et son « esclavage des nègres » — déjà que de francs crétins parlent sur Wikipedia du « racisme » de Voltaire, qui pourtant dans Candide condamne sans réserve l’esclavage de son temps…
Faut-il rappeler que les grands westerns pro-indiens (Soldat bleu, ou Little Big Man, ou La Flèche brisée, ou Les Cheyennes — on n’en finirait pas) ont tous été filmés par des réalisateurs blancs et d’extraction européenne — et pas par des Sioux ni des Apaches ? Que Nuit et brouillard n’a pas été monté par un Juif — n’en déplaise à Lanzmann, qui croit lui aussi avoir un monopole de la Shoah parce qu’il a popularisé le terme ? Ou que Les Liaisons dangereuses, sans doute le plus grand texte féministe jamais publié, a été écrit par un homme, un vrai, équipé en conséquence ?
Comment ? Il avait des couilles et il parlait des femmes ? Horreur ! Horreur ! Horreur !
Jack Dion dans Marianne tire de cette affaire la conclusion qui s’impose : « Seuls les Noirs peuvent parler aux Noirs ; seuls les gays peuvent parler aux gays ; seuls les Corses peuvent parler des Corses… »
(Parenthèse : Colomba est écrit par un pinzuttu, Astérix en Corse aussi, et ce sont deux sommets de l’insularité. Quoi qu’en disent parfois des autonomistes plus cons que nature…)
« … C’est la négation de l’approche universaliste qui veut que les êtres humains, nonobstant leurs différences, soient égaux entre eux. C’est le comble de l’enfermement communautariste à l’anglo-saxonne où l’on est défini non par ce que l’on est mais par ses origines, qu’elles soient ethniques, raciales ou religieuses. »
« Communauté » : j’ai tendance à hurler chaque fois qu’un présentateur de journal télévisé — chaque jour, en fait — use de ce mot pour désigner les juifs, les musulmans ou les Zoulous. D’autant qu’à chaque fois, c’est de Français qu’il s’agit. On peut très bien avoir des racines et s’en moquer : j’attends avec une certaine impatience qu’il y ait un humour musulman aussi torride que l’humour juif — mais les Israélites, comme on disait autrefois, ont quelques longueurs d’avance —, parce que ce sera la preuve par neuf qu’il n’y aura plus de « communauté » musulmane, mais des Français à option musulmane, tout comme d’autres ont choisi l’option libre-penseur. Ce qui n’est pas tout à fait pareil.
J’avais il y a deux ans une élève maghrébine et lesbienne : à quelle communauté appartenait-elle ? Les femmes ? Les gouines ? Les Musulmans ? Ma foi, à aucune — elle était française, et ses goûts la regardaient. La Révolution a aboli les ghettos, mais il se trouve à nouveau des crétins pour les reconstruire, et s’y enfermer.
Allez, pour la route, une blague que la « communauté » africaine ou maghrébine pourrait revendiquer — quand ils en seront à avoir de l’humour.
Un type était au Paradis, et depuis si longtemps qu’il commençait à s’y ennuyer ferme. Au Paradis, on chante des cantiques, ad majorem dei gloriam — mais le « Dio vi salvi Regina » à tout bout d’éternité, ça gonfle rapidement. Il va donc voir Saint Pierre, lui explique que bon, rien de personnel, mais enfin, comment c’est, en bas — en Enfer ? « Pas de problème, dit le saint, je peux te faire une permission d’une semaine. » « C’est vrai, je peux ? » « Mais oui ! »
Notre homme s’engage donc dans une descente sans fin, arrive devant le portail bien connu au-dessus duquel Dante a écrit « Voi ch’entrate, lasciate ogni speranza », il frappe d’un index timide… Et la porte s’ouvre, et il est happé par les mains avides d’une quinzaine de houris admirablement roulées, qui une semaine durant, une semaine dupont, se vautrent avec lui dans un océan de délices.
Au bout de huit jours, il remonte — et c’est long. « Alleluhia forever » — là, cette fois, il n’en peut plus. Il retourne voir Saint Pierre : « Ecoutez… Ce n’est pas que je m’ennuie… mais est-ce que je peux résilier le bail ? » « Pas de problème : signe ici », dit le divin portier.
Il signe, et descend l’escalier, cette fois, à toute allure. Il frappe à la porte de l’Enfer — qui s’ouvre, et il est happé par des diables qui le jettent dans l’huile bouillante et la poix fondue et le harcèlent de leurs fourches…
Alors il se récrie, le malheureux. Il récrimine. Si bien qu’une ombre gigantesque apparaît, et que Satan en personne s’enquiert : « Eh bien, qu’as-tu à protester ? » « Mais… Je suis venu il y a tout juste huit jours, et ce n’étaient que caresses et voluptés… » « Eh bien, dit le Diable en ricanant, maintenant, tu sais la différence entre un touriste et un immigré. »
Mais ai-je bien le droit de raconter cette blague, moi qui ne suis plus immigré depuis déjà trois générations ?
PS. Lilian Thuram (le footballeur guadeloupéen à lunettes, ex-membre du Haut Conseil à l’Intégration auquel participait mon ami Alain Seksig, et qui dirige actuellement une Fondation Education contre le racisme, et Agnès Tricoire, de la Ligue des Droits de l’homme, se sont exprimés très favorablement sur Exhibit B. Cela leur a valu une volée de bois vert d’un certain Claude Ribbe, auteur, réalisateur, agrégé de philosophie et pauvre cloche, qui lance à Thuram : « Moi, je suis agrégé, lui, il est footballeur » qui est l’argument le plus nul que l’on puisse formuler. Mais bon, il écrit dans Mediapart…
*Photo : SIPANY/SIPA. SIPAUSA30118257_000012.
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