Mardi après-midi, Jean-Claude Juncker, candidat désigné par les chefs d’Etat pour former le collège de la Commission européenne, a été confirmé dans son rôle par le scrutin auquel les députés européens étaient invités à prendre part.
Si les tractations du luxembourgeois ces derniers jours ont donné lieu à des supputations sur ses difficultés supposées à dégager une majorité absolue lors du vote (il lui était nécessaire de réunir sur son nom 376 voix sur les 751 que comptent l’hémicycle, l’obligeant à rassembler au-delà de la coalition dont il était candidat), le scrutin n’a finalement pas réservé de surprise.
Il incombe désormais à M. Juncker de désigner les commissaires européens l’accompagnant dans sa mission, sur proposition des dirigeants des Etats-membres. Au nombre de 27 (un représentant par pays) en plus de Juncker, ces commissaires ont la charge des différents portefeuilles européens. La France, qui tient à obtenir un portefeuille important s’est trouvée un allié potentiel avec… la cause féministe. Rassurez-vous, les Femen et autres Osez le féminisme n’ont rien à voir là-dedans. Mais tout de même.
Ainsi Androulla Vassiliou, commissaire à l’éducation depuis 2010 a annoncé avoir écrit une missive, conjointement avec ses huit collègues féminines, pour exiger que dix femmes (au minimum, cela va sans dire) soient nommées au côté de Jean-Claude Juncker, expliquant en sus que ses consoeurs et elle-même «sont très inquiètes que la prochaine Commission ne compte pas suffisamment de femmes». Soit.
Etant bien incapable de déterminer si les femmes subissent ou non des faits de discrimination, et tendant moi aussi, bonne âme, vers l’égalité, cela ne me choque pas. Ce qui m’étonne plus, c’est la volonté, bien connue en France, de décréter l’égalité sans justification particulière. Le fameux « égalitarisme » heureux et obligatoire dont les thuriféraires feignent d’ignorer les dérives, puisqu’ouvrant la voie à d’autres revendications de ce type, de plus en plus absurdes voire dangereuses pour la démocratie. On constate par ailleurs que la Commission est un peu en retard, la poursuite du dessein égalitaire ne passant pas (encore) par la parité absolue. Une femme de plus exigée à la Commission, l’ambition est maigre, concédons le. Step by step (Europe oblige). Mais enfin, passons.
La tâche est plus ardue qu’il n’y parait, la plupart des Etats membres n’ayant désigné que des postulants masculins. Charge donc à Jean-Claude Juncker de respecter un difficile équilibre dans l’attribution des portefeuilles-clés en ménageant parité sexuelle et équilibre entre petits et grands états.
Vous aurez sûrement deviné pourquoi ce lobby féministe pourrait converger avec les intérêts français. En effet, si Jean-Marc Ayrault (si, si, souvenez-vous) et surtout Pierre Moscovici sont candidats à l’attribution d’un portefeuille, Elisabeth Guigou (toujours à la pointe sur le sujet) et Pervenche Berès le sont aussi. Cette dernière s’engouffre dans la brèche féministe « La France n’a pas eu de femme commissaire européenne depuis le départ d’Édith Cresson en 1999 et que depuis l’ensemble des grands États membres ont eu des candidates commissaires qui ont parfaitement exercé leur responsabilité donc je pense qu’il y a une question qui se pose sur l’identité du commissaire français » tonne la parlementaire européenne. Si «l’intérêt de la France est d’avoir un poste économique» comme le rappelle l’Elysée, certaines voix au gouvernement s’interrogeraient sur la pertinence d’un Pierre Moscovici, tout juste débarqué de Bercy, à donner des leçons de bonne tenue économique à son successeur sous l’égide continentale. Ainsi, l’énergie et les transports seraient peut-être plus facilement atteignables, alors même que Pervenche Berès est la candidate toute désignée sur la question énergétique. Ironie de l’histoire, elle expliquait mardi dans une tribune pour Le Huffington Post qu’elle ne voterait pas, à l’instar d’un certain nombre de ses collègues socialistes de l’hémicycle, pour Jean-Claude Juncker. « Pour nous, même s’il est un candidat pro-européen, il ne nous est pas possible, aujourd’hui, de voter en faveur de Monsieur Juncker » jurait-elle dans son texte. Des déclarations qui ont semble-t-il bénéficié à Elisabeth Guigou, laquelle s’appuie sur le même argument féministe pour espérer coiffer Moscovici sur le poteau, alors même que la position d’ultra-favori du député du Doubs s’est confirmée ces dernières heures, avec l’espoir pour Hollande d’obtenir le portefeuille économique, que Guigou brigue également. Des négociations de couloir qui seraient sans intérêt si l’influence diplomatique de notre pays n’était pas sur le déclin, notamment sur la scène européenne. De quoi observer attentivement la décision de François Hollande : faire sien les vœux de parité ou prendre le risque de désigner le favori Moscovici.
*Photo : Christian Lutz/AP/SIPA. AP21597729_000002.
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