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Commerce extérieur : le grand effondrement

Tout n'est pas imputable à la flambée des cours des hydrocarbures et des matières premières.


Commerce extérieur : le grand effondrement

En dépit des boniments du gouvernement, le commerce extérieur, surtout dans le domaine industriel, est aujourd’hui en piteux état. L’histoire que racontent les chiffres officiels est celle d’un déclin inexorable. Tribune de Jean Messiha et Frédéric Amoudru.


La France s’achemine inexorablement vers le pire déficit commercial de son histoire. De 63.3 milliards d’euros[1] en 2018, première année pleine du quinquennat d’Emmanuel Macron, à une estimation de 150 milliards à la fin 2022, la 5ème année pleine de son règne, les compteurs ont explosé et la France s’est mécaniquement appauvrie.

Pour expliquer ces chiffres calamiteux, la macronie a une excuse toute trouvée : la flambée des cours des hydrocarbures et des matières premières. Il est vrai que ces hausses spectaculaires des cours pèsent lourd dans la balance, même si une partie de l’aggravation de notre déficit énergétique est due à la débâcle de notre industrie nucléaire traditionnellement exportatrice d’électricité. Après cinq ans au pouvoir, Emmanuel Macron ne peut pas dire que « cela vient de loin », comme il l’avait fait valoir lors de l’explosion de colère des Gilets jaunes.

S’il paraît difficile de lui reprocher la guerre en Ukraine, véritable catalyseur d’une montée spectaculaire du prix des hydrocarbures, il nous faut aborder une autre composante de ce déficit qui est celui des biens manufacturés. Déficit d’autant plus impressionnant qu’il reflète la santé de notre industrie. Et à en croire les chiffres, elle n’est pas bonne. Prenons les données qui font référence en la matière, à savoir celles fournies par la Direction Générale des Douanes.

En 2018, le déficit du poste produits manufacturés était de 36,7 milliards d’euros, ce qui indiquait déjà le degré de désindustrialisation atteint par la France. Le chiffre reste à peu près stable en 2019, puis plonge en 2020, à cause du COVID, à 57,5 milliards d’euros. Mais en 2021, tandis que les usines avaient repris leurs activités, nous tombions à 65,7 milliards et en 2022, alors qu’aucune excuse COVID n’est invocable, nous nous acheminons vers le chiffre de 78 milliards d’euros pour 2022 ![2]

On a beau nous expliquer que la France se « réindustrialise » grâce à la politique du président et de son très « techno » ministre de l’économie Bruno Le Maire, les chiffres sont têtus. Qui peut, en effet, croire à cette soi-disant désindustrialisation quand nos échanges industriels (hors énergie) se dégradent à ce point ?

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Quand un pays se réindustrialise vraiment, soit les usines locales satisfont davantage la demande locale et les importations diminuent – c’est ce que l’on appelle « l’import-substitution » – ou bien lesdites usines se spécialisent et exportent fortement comme les industries suisses, allemandes ou du Nord de l’Italie. Dans l’un ou l’autre cas, le déficit de la balance commerciale des produits manufacturés s‘améliore voire devient excédentaire.

En France, cette balance, nous l’aggravons. Et pendant ce temps, l’exécutif et les médias qui lui sont inféodés, comme BFM Business, Les Échos, etc., proclament que les usines poussent comme des champignons dans notre beau pays et qu’enfin nous réindustrialisons ! Toutefois le sujet est suffisamment sérieux pour que l’on creuse le champ des explications.

A cet effet, nous avons analysé les chiffres des 16 secteurs que détaillent les Douanes depuis 2018 à 2022 en annualisant les chiffres des 3 premiers trimestres sur 9 mois.

Prenons d’abord les quelques domaines où nous sommes excédentaires :

  • Nos industries agro-alimentaires poursuivent leur bonhomme de chemin et affichent un excédent stable à environ 6-6,5 milliards d’euros.
  • Les parfums et cosmétiques marchent plutôt bien puisque nous passons de 11,3 milliards d’euros d’excédents à 15 milliards, reflétant le succès à l’export de nos produits de luxe.
  • La pharmacie évolue négativement sur 5 ans avec un excédent qui montait en régime de 4,3 milliards d’euros en 2018 jusqu’à 6 milliards d’euros en 2019. Il baisse ensuite à 2,4 milliards d’euros en 2022 avec la crise COVID et les importations massives qui en ont découlé, l’industrie française étant incapable de suivre.
  • Gros poste : l’aéronautique et le spatial. Essentiellement, Airbus. Voilà l’entreprise qui en quelque sorte fait la pluie et le beau temps de l’industrie nationale et de ses exportations. 27 milliards d’euros d’excédent en 2018, encore mieux en 2019, puis le trou d’air du COVID. Depuis, nous assistons à une lente reprise qui nous laisse à environ 22 milliards d’euros en 2022.Les navires, et en particulier les paquebots de croisière fabriqués aux chantiers de l’Atlantique, sont une fierté nationale. On les exporte pratiquement tous, puisque nous n’avons pratiquement plus de croisiériste français. Excédent variable selon les années et les livraisons, de 1 à 2 milliards d’euros annuels, sauf en 2020 et 2021 avec l’impact du COVID sur les travaux et donc les livraisons. Mais gros rebond en 2022 (+2,7 milliards) où on livre beaucoup. Ce fleuron est malheureusement menacé par la hausse des coûts de l’énergie et le fait que les croisiéristes ont déjà acheté de nombreux navires.

Venons-en maintenant à la litanie des secteurs où nous sommes perdants :

  • Déficitaire depuis des lustres en raison d’une délocalisation ancienne le « textile, habillement et cuir », en négatif de 13 milliards d’euros en 2018, a baissé à près de 11 milliards d’euros en annualisé 2022. Un léger mieux lié au fait que les Français ont un peu réduit leur consommation de fringues comme en témoigne les faillites en série des magasins d’habillement.     
  • Le secteur « bois, papier, carton », pour sa part, voit, lui, son déficit se creuser, passant de 4,8 milliards d’euros à 7,6 milliards, reflétant la poursuite des fermetures des entreprises du secteur en France et dont la faillite de la société Arjo Wiggins fut un symbole.
  • La chimie, positive de près de 1,5 milliards d’euros est passée, 5 ans plus tard, à près de 3 milliards de déficit.
  • Dans les plastiques et caoutchouc, les choses vont de mal en pis puisque l’on passe de -7,2 milliards à -10.2 milliards d’euros. Les importations de plus en plus importantes de pneus bon marché de Chine et d’ailleurs constitue une partie de l’explication.   
  • La métallurgie fait un four, sans mauvais jeu de mots, avec un déficit qui explose de 8,9 milliards à 16,8 milliards d’euros. En cause la hausse des cours de l’acier et des métaux non-ferreux que nous fabriquons de moins en moins.
  • Personne ne s’étonnera que les matériels informatiques constituent un gouffre qui se creuse. Nous en consommons de plus en plus et n’en produisons aucun, d’où un déficit qui passe de 16,5 milliards à plus de 21,6 milliards d’euros en 2022. Les équipements électriques et ménagers, très emblématiques de notre désindustrialisation avec les célèbres faillites de Brandt, Moulinex et plus récemment la fermeture de Whirlpool, entre autres, ne déçoit pas. Le déficit augmente de 7,4 milliards à plus de 10,5 milliards d’euros.

Venons-en au secteur très stratégique des machines dans lequel on retrouve machines-outils, robots industriels mais également les machines agricoles.  Une bérézina qui voit notre déficit plus que doubler de moins de 5 milliards à plus de 11 milliards d’euros.  « C’est une bonne nouvelle », nous dit-on, car cela veut dire que la France modernise son appareil de production. Nous verrons !

Passons au plus scandaleux des scandales industriels français : les véhicules et équipements auto. Les bagnoles et les pièces détachées pour faire simple. Nous avions près de 10 milliards d’euros de déficit en 2018. Il passe à 18,3 milliards en annualisé 2022. Pourtant, nous voyons plein de voitures françaises sur nos routes. Késaco ? C’est simple. Ces soi-disant voitures françaises n’ont de française que la marque. Pire, les bonus écologiques que distribue allégrement notre gouvernement incompétent au nom de la transition climatique profite majoritairement aux petites et moyennes cylindrées qui sont massivement importées. En effet, à part le japonais Toyota et sa Yaris de Valencienne, nos PSA et Renault fabriquent leur modèle d’entrée de gamme ailleurs puis importent en France. Nous subventionnons ainsi les usines slovènes, slovaques, tchèques, espagnoles, turques ou encore marocaines. Nos « progressistes » au pouvoir ont du talent…

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Dans la catégorie autre matériels de transport, qui inclut en particulier les deux roues que nous ne fabriquons plus, nous avons, sans surprise, un déficit de 2 à 3 milliards d’euros chaque année.

Enfin, nous avons le poste autres produits manufacturés, un fourre-tout qui inclut tout ce qui ne rentre pas dans les catégories précédentes. Il pèse plutôt lourd, puisqu’il accuse une perte qui passe de moins de 10,7 milliards d’euros en 2018 à plus de 14 milliards d’euros en 2022.

Ce tableau négatif s’accompagne pourtant d’une floraison d’initiatives :

  • Création des Pôles de compétitivité en 2004 ;
  • Plan d’Investissements d’Avenir en 2010 ;
  • Création du CICE en 2014 ;
  • Relance du Conseil National de l’Industrie en 2017 ;
  • Baisse progressive de l’impôt sur les sociétés à 25% ;
  • Baisse des impôts de production des entreprises de 10 Mds par an (sur un total d’environ 85 Mds)
  • Plan « France Relance » en 2020 qui contient :

– des stratégies d’accélération pour l’innovation dans le cadre du quatrième programme d’investissements d’avenir (PIA4) ;

-des appels à projet pour soutenir les secteurs stratégiques de l’industrie ;

-un soutien à la Transformation numérique des TPE-PME ;

-un plan pour la décarbonation de l’industrie.

  • Suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sur 2023-2024 soit 9.3 Mds d’euros en deux ans.

Rien n’y fait.

Le très sérieux portail de recherche économique allemand, STATISTA, nous livre le chiffre de la part de l’industrie manufacturière dans le PIB français. Là encore, il nous montre un lent déclin : 10,14% en 2017, puis 9,97% en 2018, 10,01% en 2019, 9,39% en 2020 et enfin 9,18% en 2021.

Il en résulte que tout ce que la propagande gouvernementale répand sur la réindustrialisation en cours c’est du… flan(by) ! Il serait toutefois prétentieux de conclure cette tribune en affirmant que les solutions sont simples. Mais il y a clairement une problématique que ni la droite sarkozienne, ni la gauche hollandienne ni le centre macronien ne sont arrivés à résoudre.

Il y a, en réalité, deux stratégies possibles :

  1. Une forte intervention gouvernementale pour structurer des filières industrielles. Mais le volontarisme ne peut suffire. Il doit s’accompagner de subventions publiques massives ciblées qui se heurteront aux règles européennes ;
  2. Poursuivre, mais de façon beaucoup plus ambitieuse, la baisse des prélèvements obligatoires qui pèsent sur nos industries. Là encore, l’UE ne nous permettra pas de cibler des secteurs en particulier.

C’est pourquoi la baisse des impôts de production timidement entamée par le gouvernement, fait sens, dans la mesure où elle bénéficie structurellement davantage aux usines. Il faut toutefois aller plus loin, car l’écart avec l’Allemagne reste élevé, et mieux cibler géographiquement cette baisse, ce qui est permis, de façon à ce qu’elle se concentre sur les zones où l’industrie est présente ou susceptible de se développer. Cette stratégie est plus efficiente que celle consistant en un arrosage large qui bénéficie au secteur des services dans les métropoles, secteur qui n’en a nul besoin.

Le grand défi reste celui de la conditionnalité. Comment faire en sorte que ces baisses d’impôts se traduisent bien par un surcroît de production plutôt qu’à une hausse des bénéfices et des dividendes ?

Nous reparlerons de la stratégie de réindustrialisation dans une prochaine tribune…


[1] Chiffres incluant les matériels militaires  

[2] En annualisant les chiffres des 3 premiers trimestres, ce que nous ferons pour tous les chiffres qui suivent !



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Jean Messiha est Président de l’Institut Apollon. Frédéric Amoudru est Directeur Études et Stratégie de l’Institut Apollon.

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