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Comment se faire trente millions d’ennemis ?


Peut-être ai-je eu tort de vous parler de moi et mon chien, de moi et les femmes, et de moi et moi. Peut-être aurais-je dû, comme certains de vos commentaires m’y ont invité être plus précis, plus honnête ou plus absent.

Peut-être aurais-je dû préciser que mon chien, un bâtard qui n’effraie même pas les chats, dort sur son canapé la plupart du temps, marche jusqu’à la route devant mon atelier et, comme il ne se passe rien, revient se coucher. Nous vivons à la campagne, il n’y a même pas de trottoir. Ce jour-là, alors qu’il traînait dehors pendant que je bossais, une employée de la SPA est passée par là, par hasard, pas du tout alertée par une plainte. De toutes façons, qui se serait plaint, et de quoi ? Ce n’est pas le genre des manouches qui vivent à deux pas d’appeler les flics. Donc, la voiture s’arrête, le chien renifle une odeur femelle, monte avec la fille et se barre. Pas partageur, le corniaud. Et après, c’est moi qui me fait engueuler. Voilà pour la précision.

Quant à l’honnêteté, peut-être aurais-je aussi dû rappeler qu’il convient d’observer des codes, des lois, pour une bonne cohabitation des hommes avec les animaux, des hommes entre eux, et même des hommes avec les femmes. D’ailleurs, quand il m’arrive d’emmener mon chien en ville, il a droit à sa laisse, comme je change de chaussures. Nous savons aussi être urbains.

À partir de là, ceux qui s’intéressent seulement aux histoires de chiens peuvent aller se balader sur www.30millionsdamis.fr. Les mêmes commentaires peuvent remarcher.

J’aurais pu aussi tenter de philosopher sur la difficulté de trouver un équilibre entre nos besoins de liberté et de sécurité. Nous aspirons individuellement et collectivement à l’une et à l’autre. On peut accumuler les interdits, les principes de précaution, limiter les risques partout et toujours plus, mais on réduit forcément le champ du possible. On se rapprocherait sans doute du zéro mort sur les routes en limitant partout la vitesse à 30 km/h mais on crèverait d’ennui en conduisant.

J’aurais pu également insister sur les savoureuses complications qui apparaissent quand le conflit évoqué plus haut éclate entre un homme et une femme. Là, il convient de prendre quelques pincettes. Je sais bien que dans la vraie vie, les femmes ne décorent pas toujours la niche pendant que les hommes partent à l’aventure. Et l’idée que le masculin incarne plutôt le dehors et le féminin le dedans, enfin tous ces vieux trucs anthropologiques qui ont façonné l’espèce, ne nous destinent pas à être tout l’un ou tout l’autre. Le guerrier opposé à la gardienne du foyer, ça ne marche pas absolument, il suffit de comparer Elisabeth Lévy à mon facteur pour en être convaincu.

Pourtant je ne peux m’empêcher de voir, dans le conflit entre sécurité et liberté, une trace de celui qui oppose les hommes aux femmes. Dans notre façon d’éduquer nos gosses ou nos chiens, nous nous comportons plutôt en mâles ou plutôt en femelles. Ok, il y a aussi des papas-poules et des mères frivoles, mais ils ne sont pas la généralité de l’espèce.

On peut également distinguer les comportements sexuels des hommes des comportements amoureux des femmes simplement en regardant autour de soi. Les femmes veulent un protecteur et un séducteur, un type qui les surprenne et n’oublie jamais leur anniversaire, un aventurier fidèle, un Indiana Jones qui rentre à la maison tous les soirs et les amène voir « Picasso et les maîtres ». Et bien sûr qui leur parle. Nous, nous on veut juste baiser. Evidemment, j’observe là des tendances ancestrales et chacun en fait ce qu’il en veut. Et puis dans la vie, on négocie, on trouve des compromis et tout le charme est là.

J’aurais encore pu dire que cette brave dame de la SPA et moi, dans un échange de cinq minutes, aussi éloignés l’un de l’autre par notre culture que par nos natures, nous avons pris un raccourci vertigineux vers l’inéluctable fracture.

Mais bon, j’ai envoyé mon texte à Marc Cohen et Elisabeth Lévy qui, après avoir arasé un tenon qui dépassait de l’assemblage (que ceux et celles qui veulent en savoir plus commencent par me signer une décharge pour la Halde), ont pensé que ce récit serait plus digeste qu’un long discours et que l’historiette valait bien un billet. Merci chaleureusement à tous ceux qui ont apprécié la friandise. Merci aussi aux autres pour qui, c’est juré, on ajoutera la prochaine fois des sous-titres et un rectangle blanc, et s’il le faut, une muselière au chien, ainsi qu’au maître.



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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