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Comment peigner une girafe ?


Comment peigner  une girafe ?

Girafe

Dans sa célèbre fable, La Grenouille, qui finira dans la poêle, que les enfants des écoles ânonnent avec entrain depuis plus de trois cents ans, Jean de La Fontaine nous dépeint, comme chacun sait, un batracien qui veut se faire aussi grand qu’une girafe. Pauvre animal, ignorant que le mammifère qu’il veut singer est l’avenir de l’Humanité – le truc de nases, pas le journal. Lorsque les prédictions d’Al Gore, de Nicolas Hulot et de Nostradamus se réaliseront et que les flots auront recouvert la surface de la Terre sans que Charles Trenet soit là pour chanter leur magie au long des golfes clairs, seule surnagera la tête cornée et fière de la girafe.

[access capability= »lire_inedits »]Et nous serons bien contents, nous autres, pauvres humains, de grimper sur ses frêles épaules, pour la caresser et la peigner, en nous exclamant, tel Mac Mahon sur les bords de la Loire : « Ah ! que d’eau, que d’eau ! ». Courts sur pattes et doutant de la puissance de la girafe, les hommes de la race suspicieuse des Claude Allègre seront vite submergés. Mais nous, qui depuis le berceau n’avons poursuivi d’autre but que de peigner la girafe par goût et par amour de la philosophie, du genre humain et de toutes choses qui persistent dans l’être, surnagerons entre tous.

S’exprimant dans un français somme toute assez approximatif pour un Onassis, Aristote écrit tout cela très bien, au livre II de son Histoire des animaux : « L’animal appelé antilope a une crinière au garrot, ainsi que l’animal sauvage qu’on nomme girafe, qui tous deux ont une légère toison, s’étendant de la tête au garrot. » Encore que l’on pourrait se fier à Heidegger qui, quant à lui, traduit ce passage par un plus élégant : « Waouh, waouh, waouh ! C’est quoi ce machin dans le jardin ? Une grosse taupe métaphysique ! Elfride, vite, le fusil ! »

La voilà donc, la belle affaire de l’humanité, la chose cachée depuis la fondation du monde. Alors que ce poids plume d’antilope ne nourrit que cent ou cent vingt types même pas affamés, la girafe, elle, en rassasie deux ou deux mille cinq cents. Son simple steak vaut pour trente. Certes, tout dépend de l’appétit de vos convives et de ce que vous leur aurez fait manger avant. Mais je suppose votre pingrerie telle que vous leur aurez servi un apéritif léger.

Et, d’ailleurs, qui parle de bouffer la girafe quand il suffit de la peigner ? De la peigner, et non de la peindre. Certains n’ont pas su faire de leur chevalet un bouclier suffisant contre l’atrocité du coup de sabot girafier. La girafe vous prend de haut, c’est là son moindre défaut. Elle ne souffre pas d’être peinte, mais tolère d’être peignée. Sous nos latitudes, il est bien hasardeux de trouver une girafe, voire même un girafon, se prêtant librement à l’exercice – le réchauffement climatique et la déforestation amazonienne ont eu raison de l’écosystème girafier dans l’Hexagone. C’est donc dans les zoos qu’il faut se rendre pour répéter inlassablement l’ancestral geste du peigneur.

Certes, un pouvoir d’achat conséquent vous donnera l’idée d’acheter votre propre girafe et de la peigner, en fonctionnaire ou en rentier, à domicile. Ah ! malheureux, cancrelat, peste noire ! N’avez-vous donc pas appris que jamais il ne faut prendre sur ses loisirs pour peigner la girafe ? La tache est rude. Elle est noble. Elle suppose une dextérité hors du lot, une maîtrise, une abnégation qui contredisent ce que ce jeanfoutre (paix à son âme) de Roger Martin du Gard écrivait dans Les Thibaut : « D’ailleurs, je m’en fous… On verra bien… Faire ça, ou peigner la girafe ! »

Eh bien, social-traître, quand on est français, la girafe, on la peigne bien. Et on y passe tout son temps. On massacre un troupeau d’éléphants pour se tailler dans leurs défenses un instrument digne de ce nom. Et on le fait. Avec entrain. Dans le sens du poil. Car, voyez-vous, Chinois, Indiens ou Brésiliens, eux, peuples tout dévoués au labeur dégradant, ne connaissent ni girafe ni peigne.[/access]

Juin 2009 · N°12

Article extrait du Magazine Causeur



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