L’antisémitisme n’a pas attendu le 7 octobre pour trouver des relais d’influence au sommet de certains États et de nombreuses ONG.
Moscou, décembre 1952. Devant ses pairs du Politburo, Joseph Staline lance: « Tout sioniste est l’agent du service de renseignement américain. Or parmi mes médecins, il y a beaucoup de sionistes. » Dans les mois qui suivent, des dizaines de praticiens juifs sont arrêtés en URSS au prétexte d’une participation au prétendu « complot des blouses blanches ». Plusieurs d’entre eux finiront exécutés.
New York, novembre 1975. L’Assemblée générale des Nations Unies prend la résolution 3379, affirmant que « le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Parmi les pays ayant voté en faveur du texte, on retrouve des membres de l’Organisation de l’unité africaine ainsi que de la Conférence des pays non-alignés. La résolution sera révoquée en décembre 1991.
Durban, septembre 2001. En marge d’une conférence internationale organisée par l’UNESCO dans la seconde ville d’Afrique du Sud, un forum réunissant 6 000 ONG du monde entier adopte une déclaration accusant Israël d’« apartheid » et « d’actes de génocide ». Sur place, des participants juifs sont insultés et physiquement menacés. Le texte sera toutefois vite dénoncé par plusieurs autres ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l’homme.
Acevedo (Venezuela), décembre 2005. En visite dans l’État de Miranda au nord du pays, le président Chavez prononce un long discours et déclare notamment : « Une minorité, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux qui jetèrent Bolivar hors d’ici et le crucifièrent aussi à leur manière à Santa Marta en Colombie, s’est appropriée les richesses du monde. »
Istanbul, janvier 2015. Melih Gokcek, le maire de la ville, membre éminent du parti d’Erdogan, commente dans le journal turc anglophone Today’s Zaman les attentats qui viennent d’être commis en France par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly. Pour lui, il est « certain qu’Israël est derrière ce genre d’incidents. Le Mossad favorise l’islamophobie en provoquant de tels incidents ».
Israël présenté comme le dernier bastion colonial de l’Occident
Arrêtons là la liste. On le voit, la parole antisémite n’est pas l’apanage des feuilles chou complotistes, des prédicateurs intégristes, des injures de rue. Depuis des décennies, elle s’exprime tout autant à ciel ouvert, dans les plus hautes sphères de la planète. Aux yeux de bon nombre de dirigeants, Israël est le dernier bastion colonial de l’Occident à s’être maintenu en Orient. Et si le Juif était autrefois défini dans la rhétorique antisémite européenne comme un « allogène basané » et sans patrie, il est désormais, vu par les chantres du nouvel antisémitisme mondial comme le parangon de l’Utra-européen, blanc et arrogant.
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Mais dans ce registre de la haine, c’est l’Iran qui bat tous les records. Ne serait-ce que parce que les mollahs au pouvoir y ont inventé dès 1979 la « Journée mondiale d’Al Quds » (nom arabe de Jérusalem). À l’instigation de l’Ayatollah Khomeini, chaque dernier vendredi de Ramadan donne lieu dans le pays à des rassemblements contre la présence des Israéliens à Jérusalem-Est. Un peu comme si le pape, à la même époque, avait dédié l’un des vendredis du Carême à la cause des catholiques d’Irlande du Nord.
Ces manifestations sont l’occasion de revisiter des slogans comme : « Mort à Israël, mort à l’Amérique ». Au fil des ans, elles ont trouvé un grand écho dans le reste du monde musulman. En France, la tentative d’importation a été à peu près contenue. Au Royaume-Uni en revanche, la journée mobilise parfois jusqu’à 3 000 participants. Les drapeaux du Hezbollah sont brandis, ceux d’Israël sont brûlés.
En 2006, l’Iran fait encore plus fort. En réaction à la publication de caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten, le journal iranien Hamshahri, téléguidé par le régime, réplique en proposant un concours de caricatures sur la Shoah. Alors que le président Mahmoud Ahmadinejad venait de promettre la destruction d’Israël et de remettre en cause l’ampleur des crimes hitlériens, le journal veut illustrer avec son concours « l’hypocrisie des occidentaux ». Une constante dans la majorité des dessins publiés : ils mettent un signe égal entre les camps de la mort et le sort des Palestiniens.
De l’antisémitisme dans les pays musulmans ? Pas possible !
Le succès est tel que la même année, une grande conférence anti-sionniste est organisée à Téhéran par les autorités. On y retrouve l’Américain David Duke, ancien du Ku Klux Klan, et bien sûr le négationniste français Robert Faurisson. Au cours de la conférence, l’Allemagne nazie et l’Etat hébreu y sont renvoyés dos à dos, tandis que l’antisémitisme, phénomène défini comme strictement européen, y est présenté comme étranger au monde musulman.
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Cette conférence constitue une étape majeure dans la consolidation de l’antisémitisme mondial, qui plait aussi bien en terre d’islam que dans les quartiers islamisés d’Europe. Une partie de l’extrême droite occidentale n’y est pas insensible non plus. Aux Européennes de 2009, la liste antisioniste de Dieudonné M’bala M’bala recycle tout sur son passage, de SUD au GUD : on y trouve d’anciens membres des Verts, de la Ligue communiste révolutionnaire et du Front national. Le financement provient de l’Iran.
Certes cet étonnant attelage idéologique n’aura pas dans les années suivantes d’autres concrétisations électorales majeures. Il n’en demeure pas moins le point de départ de l’association Egalité et Réconciliation, menée par Alain Soral, autour de laquelle gravite toute la dieudosphère, et qui donnera dans la société française un nouveau souffle à l’antisémitisme.
C’est ainsi que la haine envers les Juifs, qui faisait encore horreur à la plupart des forces de gauche, s’est diffusée peu à peu dans les esprits au point d’être devenue l’un des principaux carburants du couple islamo-gauchiste. Évoquant les incidents survenus à l’Assemblée nationale cette semaine, le philosophe Bernard Henri-Lévy observe, sur BFMTV : « Quand David Guiraud traite Meyer Habib de porc, il parle comme Dieudonné et comme Alain Soral ».
En 2017, le sort des Rohingya, musulmans persécutés par la Birmanie, n’a intéressé l’opinion que durant quelques semaines. Et depuis lors, à l’ONU, les Etats musulmans se rangent toujours derrière la Chine pour bloquer les condamnations relatives au martyre des Ouïghours. Rien à faire : pour s’attirer la réprobation, Israël aura toujours un temps d’avance, une capacité supérieure à susciter l’animosité et la mauvaise foi.
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