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Comment j’ai pris l’humanité en grippe


Comment j’ai pris l’humanité en grippe

H1N1

Alors ça y est. Vous toussez, votre nez coule. Vous n’éternuez plus que dans votre coude ou au fond de votre sac à main, pendant ce temps-là, dans la poche droite de mon costume, une fiole de solution hydromachin tueuse de virus coule doucement sur mon portable. La grippe A, la voilà. Et cette traîtresse frappe d’abord les petits enfants. Enfin, plus exactement quelques lycéens boutonneux des banlieues upper middle class des Boucles de la Marne, renvoyés chez eux même pas une semaine après la rentrée.

Que croyez-vous qu’il se passa ? Les ados crièrent-ils hourra en l’honneur de feue la grippe porcine qui leur permet de profiter des terrasses en cet incroyable été indien pour fumer des clopes sans risquer un mot dans le carnet de correspondance ? Glandèrent-ils au cinéma ? Non, nous disent radios et télés. Ils flippèrent. Pas d’être malades, mais de « louper des cours, car il y a le bac à la fin de l’année.»

Zut, j’ai dû rater un truc. Sans doute que le monde avait changé.

J’ai été déjà moins étonné par la réaction des parents qui eux aussi, paniquent à donf, en adultes responsables qu’ils sont. Vaccin ou pas ? Antibios stockés pour l’hiver ou homéopathie ? Fromage ou dessert ? Heureusement, ils voient les maires fermer les classes ou interdire le french kiss au nom du principe de précaution et madame Bachelot se muer en infirmière chef de la nation menacée par les virus. Tout est sous contrôle. On respire mieux.

Enfin, la France entière respire mieux, sauf moi: à chaque fois que je rallume la télé, je rechute; ma température monte en flèche quand je vois le gouvernement reconverti en commando de choc de SOS-Médecins. C’est plus le JT, c’est une rediff en boucle d’Urgences, chaque ministre veut prouver qu’il est plus antiviral que son rival. Certes, Roselyne a pris de l’avance, mais c’est de la triche, elle est ministre de la Santé. Alors Brice Hortefeux signe une convention avec Patrick de Carolis, pour la diffusion de messages d’alerte sur France 2 et France 3 en cas de crise majeure. Pour n’être pas en reste, Eric Woerth, ministre du Budget et de la Fonction publique, expose à tout va son plan de guerre pour mettre postiers et autres guichetiers publics à l’abri des postillons mortifères. Luc Chatel, lui aussi, est dans les starting-blocks : il a donné des instructions très fermes à tous les enseignants, désormais rhabillés en hussard noirs de la prophylaxie. Ringardisée, la lettre de Guy Môquet, cette année le discours héroïque de rentrée, c’est « Lavez-vous les mains après le pipi !». Virus, assassins ! No pasaran !

J’éteins donc la télé avant de la casser, et direction le bistrot pour lire mon journal. Comme je me contrefous des avanies de l’équipe de France, j’ai boycotté Le Parisien ce matin-là pour m’en tenir à Libé. J’ai eu tort. L’épidémie ne s’est pas encore déclenchée qu’il y a déjà des grands malades, rue Béranger. L’idée, étalée en une sous le titre tout en nuances : «Grippe A, menaces sur les libertés », c’est que le gouvernement veut profiter de la pandémie putative pour instaurer en France un état de siège larvé. Si, si, on a les preuves, c’est le Syndicat de la Magistrature qui les donne, de l’imparable donc. Il paraît qu’en cas d’épidémie gravissime le gouvernement – qui depuis a démenti l’info –, envisage que les procès se tiennent à huis clos. Or chacun le sait, le huis-clos est un déni absolu de démocratie ; sauf dans l’affaire Fofana, où il préserve l’opinion d’une épidémie d’intolérance contre les minorités visibles.

Pour étoffer le dossier, on a décrété à Libé que les pauvres et les exclus allaient forcément être les premières victimes par chez nous, sans parler des populations du Tiers-Monde, par là-bas. Joffrin a donc concocté une pétition, qu’il a fait contresigner par tout le gotha de la gauche officielle, où l’on nous explique sans rire : «Les pandémies ont toujours agi comme un reflet des trous noirs d’une société. Des enjeux éthiques importants peuvent se poser brutalement, mettant en danger les libertés de chacun.»

Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, dans son édito, Joffrin redit la même chose, mais en plus clair : « Pour contenir cette grippe inédite, faudra-t-il restreindre les libertés publiques, contourner ou annuler le droit social, réduire l’autonomie des individus dans une société ouverte ? (…) Les menaces sur la santé pourraient dégénérer en menaces sur les libertés. » C’est bien, mon Lolo, mais ça aurait pu être mieux, si seulement tu nous avais dévoilé le fond de ta pensée : on sent bien que tu meurs d’envie de nous dire que le vrai responsable de la grippe A, c’est Sarkozy. Patience, les amis, ça viendra. On n’en a pas fini avec l’épidémie de connerie.

Et dire que je croyais être vacciné.



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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