Partenaire historique des J.O., Coca-Cola, en injectant des millions de dollars, dope financièrement le CIO (Comité international olympique). Revers de la médaille, la firme américaine impose son goût et ses choix…
Dans « Le Miroir des Sports » du 28 janvier 1930, le lecteur tombait sur un article fort de café : « Des études très poussées par l’institut Pharmacologique de Hambourg ont démontré à l’évidence que les effets de la caféine sur les performances des athlètes sont positifs et forts puissants. »
À l’époque la lutte contre le dopage en est à ses balbutiements. En France il faut attendre les années 60 pour qu’elle s’active et le 10 juin 1966, sur la première liste officielle de produits interdits jamais publiée, on trouve la triméthylxanthine, nom scientifique de la… caféine. 16 ans plus tard, en février 1982, le CIO place également la caféine sur la liste des substances illicites (à partir d’un seuil fixé à 15 microgrammes / ml).
Comment en est-on arrivé là ?
Le docteur Jean-Pierre de Mondenard, l’un des meilleurs experts mondiaux de la lutte contre le dopage1, et historien hors pair du sport, a exhumé un entretien qu’Alexandre de Mérode (président de la Commission médicale du CIO de 1967 à 2002) donnait au journal L’Équipe le 16 mai 1983. Mérode y révèle que ce sont des tests effectués pendant les Jeux de Montréal en 1976 qui ont alerté et poussé le CIO à sévir : « Dès Montréal en 1976, nous avons été alertés par des concentrations anormales de caféine. À Lake Placid, ce fut pire et la situation s’aggrava encore à Moscou en 1980. Cela nous a conduits à interdire la caféine, puisque nos méthodes d’investigation le permettaient. »
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Cela pose toutefois un énorme problème. D’image de marque. Pour Coca-Cola. Depuis les jeux d’Amsterdam en 1928, la firme américaine est le sponsor numéro un du CIO (et depuis 1978, partenaire de la Coupe du Monde de foot…). Or son soda contient de la… caféine. La nouvelle réglementation du CIO jette alors un froid. Certes le Coca-Cola n’est pas un produit dopant mais il contient une substance prohibée, ce qui fait mauvais genre pour un partenaire de l’Olympisme.
Alexandre de Mérode est conscient de ce conflit d’intérêts et dans ses commentaires à L’Équipe, il tient immédiatement à ménager la firme américaine :
« Nous ne voulons pas empêcher les athlètes de boire du café ou du Coca-Cola. Nous voulons simplement éviter un usage abusif de la caféine par injections massives dans le corps humain, comme cela se produit actuellement. (…) Nous affirmons que notre intention n’est pas de porter tort à la firme Coca-Cola, ni d’entraver l’utilisation de cette boisson. Nous avons, en effet, fixé le seuil critique d’utilisation de la caféine à quinze microgrammes par millilitre. Cela équivaut à l’ingestion de vingt litres de Coca-Cola dans une journée et à plus de quinze litres de café normalement concentré. »
Il n’empêche, le Coca-Cola reste une boisson dont l’un des composants est un produit interdit… Mais l’ardoise va être effacée. En janvier 2004, l’AMA (l’agence mondiale antidopage, à qui il revient désormais d’établir la liste des produits interdits) supprime de la liste la… caféine ! Coca-Cola a-t-il fait pression pour obtenir cette suppression ?
Une chose est sûre, si la caféine a disparu de la liste des produits interdits, le dopage à la caféine n’a, lui, pas disparu.
Mercredi 18 mai 2005, le bureau de Sydney de l’agence américaine Associated Press publie un communiqué qui tombe comme un pavé dans la mare : « L’Agence mondiale antidopage envisage de remettre la caféine sur sa liste de produits interdits après les propos du capitaine de l’équipe d’Australie de rugby, George Gregan, qui a affirmé en avoir pris pour améliorer ses performances. Le directeur de l’AMA, David Howman, a déclaré aujourd’hui que les informations selon lesquelles Gregan et d’autres athlètes australiens utilisaient de la caféine pour améliorer leurs performances étaient « perturbantes ». »
L’AMA est perturbée mais ne bouge pas. Dans un rapport du 24 octobre 2006, intitulé « Le Sport et un monde en harmonie », le CIO reconnaît pourtant que la caféine a des « propriétés indéniables en matière d’amélioration des performances ».
11 juillet 2022. Alors que le Tour de France bat son plein, le quotidien Ouest-France publie une enquête au titre révélateur : « Le peloton fait-il n’importe quoi avec la caféine ? » ainsi présentée : « La consommation de caféine, aucunement interdite dans le peloton du Tour de France, n’est pas nouvelle. Ni dans le vélo, ni dans d’autres sports. Mais depuis quelques années, elle décolle. À tel point que cela inquiète certains acteurs du cyclisme… »
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14 avril 2024, le quotidien sportif L’Equipe s’interroge sur les nombreuses et violentes chutes qui depuis le début de la saison surviennent au sein du peloton. Parmi les causes évoquées, l’excès de caféine. Le témoignage du coureur Rudy Molard (Groupama-FDJ, 34 ans) est sans sucre à propos de la sur-consommation de café : « On en parle régulièrement entre coureurs parce qu’il n’y a pas de limite et je pense que ça peut jouer sur le caractère agressif de certains… ça a toujours existé mais je pense que les doses qui étaient prises étaient moindres au début de ma carrière par rapport à maintenant. » Mais toujours aucune réaction des autorités compétentes. C’est pourtant un café et l’addiction.
Si Paris 2024 devait être mis en bouteille, cela serait dans une cannette de Coca-Cola !
Avec les millions de dollars que Coca-Cola injecte dans le CIO, la devise olympique s’enrichit d’un qualificatif : « plus haut, plus vite, plus fort, plus lucratif… » Et offre à la firme américaine, sinon les pleins pouvoirs, du moins une influence certaine. En 1996, alors qu’Athènes rêvait d’accueillir en Grèce les Jeux du centenaire, le CIO a imposé Atlanta, la ville américaine d’où Coca-Cola gère son empire, le berceau de la maison mère.
Pour 2008, alors que le régime chinois suscitait l’indignation internationale, le CIO a désigné Pékin, à la grande satisfaction de la firme d’Atlanta, soucieuse de prendre pied sur le marché chinois, où elle s’est fait rapidement un allié de poids, l’entreprise Mengniu Dairy, géant des produits laitiers, dont une filiale s’emploie désormais à l’embouteillage du Coca-Cola. Ainsi en 2019, Coca-Cola, associé à l’industriel chinois, a signé avec le CIO un contrat de partenariat qui court jusqu’en 2032, et leur assure l’exclusivité des droits marketing mondiaux. Montant de la transaction ? Top secret. Selon le quotidien britannique Financial Times, Coca-Cola aurait investi dans l’opération 3 milliards de dollars… À ce tarif, la firme en impose… jusque dans la sélection des sports…
À chaque nouvelle olympiade, outre les 28 sports labellisés olympiques (de l’athlétisme à la natation en passant par toutes les autres disciplines traditionnelles), le programme propose de nouveaux sports, des sports dits additionnels, en démonstration, proposés par le pays organisateur, mais validés par le seul CIO. Pour Paris 2024, il y avait quatre places à prendre. Dans cette optique, la fédération de pétanque avait déposé sa candidature, car la pétanque n’est pas seulement un divertissement de vacanciers, c’est aussi un sport international, fédéré dans 165 pays, avec 200 millions de pratiquants, sur les pourtours de la Méditerranée et dans le Maghreb, mais aussi en Asie, notamment en Thaïlande, où il est très populaire. Las, la pétanque est restée sur le carreau. Les sports validés par le CIO ont été le surf, l’escalade et le skate-board (tous trois déjà retenus aux Jeux de Tokyo en 2021) plus un petit nouveau : le breakdance !
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Fort lucidement, Joseph Cantarelli, alors président de la Fédération française de pétanque et de jeu provençal, analysait les raisons de cet échec : «Comme vous toutes et tous j’accuse ce que nous ressentons comme un «coup dur» qui vient de frapper notre intime conviction de voir les Sports de boules et donc notre sport pétanque entrer, sur nos terres, aux JO de Paris. Comme quoi les critères d’entrée aux JO ne sont plus exclusivement liés aux valeurs fondamentales du sport en tant que tel mais plutôt et de préférence au seul succès médiatique d’un sport ou d’une «pratique» auprès de la jeunesse. » Tout est dit. Si le breakdance a été sélectionné c’est qu’il s’adresse à la jeunesse, la cible prioritaire de Coca-Cola. Et le programme officiel annonce la couleur : « Et si on dansait à Paris au cœur de l’été ? À peine cinq ans après avoir été reconnu en tant que sport de haut niveau en France, le « breaking » s’apprête à faire son entrée triomphale aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Et pas n’importe où. Les 32 athlètes qualifiés – 16 B-Girls et 16 B-Boys s’affronteront en duel les 9 et 10 août prochain sur l’iconique Place de la Concorde. » Place qui sera aux couleurs de Coca-Cola.
Dans ces conditions, la désignation de la chanteuse Aya Nakamura pour la cérémonie d’ouverture et du rappeur Jul pour allumer la flamme à Marseille coulent du goulot d’un soda… C’est moins une volonté politique qu’un choix publicitaire pour satisfaire Coca-Cola, qui dans l’optique des JO a organisé le Coca-Cola Music Tour, une tournée de concerts à travers la France, pour mettre les Jeux en musique et Paris en bouteille.
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