Le Comité consultatif national d’éthique recommande aux gynécologues, urologues et autres proctologues de ne procéder à l’examen des parties intimes de leurs patients qu’en recueillant à chaque étape de la consultation le consentement de ces derniers.
Nous les Français, on est vraiment vernis. Dans toutes les circonstances, il y a une institution qui veille sur nous, une cellule d’aide psychologique pour recueillir nos doléances, un comité pour nous protéger contre les complications de l’existence – ce que dans la vraie vie, on appelle une mère.
La puissance publique répugne à montrer ses muscles mais adore cajoler et consoler. Des ingrats trouveraient cette instance maternante intrusive. Pas moi. Sans le Comité consultatif national d’éthique, je n’aurais jamais su que j’avais certainement été victime de violences gynécologiques. En vrai, j’en avais déjà entendu causer dans Le Monde, parce que c’est un sujet très sérieux, étudié par les sociologues, discuté dans les instances internationales. Et on ne parle pas ici d’agressions sexuelles ou de viols commis par des gynécologues dans l’exercice de leurs fonctions, ni de fautes médicales, mais du désagrément que représente, pour la plupart des gens, l’examen par un inconnu de leurs parties intimes – même si, chez certains c’est plutôt ou aussi une source de fantasme et d’excitation. Beaucoup de femmes chez leur gynéco ou d’hommes chez leur urologue (je vous fais grâce du proctologue ?) ressentent donc gêne, honte, embarras, vulnérabilité. Ça s’appelle la pudeur. Il n’y a pas de quoi en faire un fromage.
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Ne vous énervez pas, je sais que des femmes subissent de mauvaises expériences, des médecins brutaux, des erreurs médicales. Que l’institution médicale, voire la justice, s’efforcent de réparer, que l’on mette tout en œuvre pour que cela ne se produise pas, très bien. Je doute que le battage public autour de leur souffrance soit d’un grand secours.
Étalage un peu dégoûtant
Pour rédiger son avis 142, « Consentement et respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques et touchant à l’intimité », le Comité a auditionné une trentaine de personnes, patients et professionnels. Il recommande aux praticiens d’être à l’écoute de leurs patients, de les respecter. Admettons que ça va mieux en le disant. Il en fait des tonnes dans le registre participatif. Les médecins sont appelés à respecter les droits du malade et à recueillir à chaque étape de la consultation son consentement éclairé, mais pas écrit tout de même, ce ne sont pas des ayatollahs. Il ne s’agit plus de soigner ou de dépister, mais d’être au service du « savoir-être » du patient. Mon savoir-être, et puis quoi encore ? Occupe-toi du fondement de ta sœur ! Je ne vais pas chez le gynéco pour trouver un gourou ni pour apprendre à vivre.
D’abord, on admettra que cet étalage est un peu dégoûtant. Je n’ai pas envie d’évoquer publiquement mes embarras corporels, ni d’entendre parler de ceux des autres. Devrait-on crier sur les toits et sur l’air des lampions qu’on s’est fait inspecter la foufoune ou toute autre partie de son anatomie ? Ne pas tout savoir de ses contemporains est un droit sacré.
Intoxication à la bienveillance
Après tout, dira-t-on, où est le problème, si on rend la vie plus facile et plus confortable. Pourquoi refuserait-on la promesse de la société post-moderne – je prendrai soin de toi ? Peut-être parce que l’idéologie du soin et de la bienveillance nous transforme insensiblement en êtres fragiles, dépendants, craintifs. Nous sommes tous victimes, il faut juste trouver de quoi. Toute situation banale peut être revisitée en pathologie, toute relation humaine analysée au prisme de la violence. Dans cette perspective prometteuse, une mauvaise note peut être qualifiée de violence académique. Et un coiffeur qui rate ta coupe, de violence capillaire.
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C’est ainsi, certains examens médicaux occasionnent une gêne ou une douleur, comme des tas de circonstances de la vie. Passer une mammographie ou se faire tripoter la prostate, c’est pénible. Mais ça sauve des millions de vies, voilà ce qu’il faut dire aux gens au lieu de les encourager à pleurnicher et à s’épancher auprès de commissaires au « savoir-être ».
Je ne veux pas que la collectivité s’occupe de mon être. Ni qu’elle me protège contre les emmerdes. Les emmerdes, c’est comme les microbes, si on n’en voit jamais, le premier vous tue. Intoxiquée à la bienveillance, l’espèce humaine (ou plutôt sa branche occidentale) finira par être incapable d’affronter l’adversité. Je crois bien que c’est comme ça que les dodos ont disparu.