Accueil Politique Combattre Marine Le Pen, oui, mais comment ?

Combattre Marine Le Pen, oui, mais comment ?


photo : FN

Disons-le clairement : attaquer Marine Le Pen ne nécessite aucun courage. La critiquer ne fait pas de moi un antifasciste méritant à l’égal de Matteotti.

Mais Marine Le Pen pose tout de même problème : sa plasticité idéologique, le fait qu’elle ait préempté la contestation de l’ordre établi et que les sujets dont elle se saisit deviennent immédiatement illégitimes (libre-échange, euro etc…) soulèvent une question inquiétante sur le tour que prend « notre démocratie » – mot dont la fortune croissante coïncide avec le délitement de la chose qu’il désigne.

Examinons les choses telles qu’elles sont : le Front National réalise des scores autour de 20% (19,2% en moyenne dans les cantons où il était présent en mars dernier). Ce n’est pas rien mais c’est loin d’être tout. Marine Le Pen a au moins compris une chose : pour faire gagner l’extrême droite, elle doit se fondre dans la nouvelle géographie sociale de la France grâce à un récit national culturellement majoritaire. Par ce biais, elle adopte – consciemment ou non -les méthodes de certains conservateurs américains qui ont repris les vieilles recettes contestataires de l’extrême gauche.

L’extrême droite change : quelle découverte !

À l’image de ce qu’a toujours été l’extrême droite dans notre pays, le Front National s’appuie sur une idéologie composite. Aussi, pour consolider son virage stratégique, Marine Le Pen a demandé aux militants frontistes les plus « extrémistes » de se taire et/ou d’évoluer sans remettre en cause leur radicalité doctrinale. Toutefois, facile et prête à l’emploi, la thèse de la mutation « cosmétique » du FN écarte la possibilité d’une mutation réelle de la radicalité. En réalité, le monde change, l’extrême droite aussi : quelle découverte !

Marine Le Pen est astucieuse. Elle cherche à se légitimer. À cette fin, elle n’a pas recyclé les tactiques éculées d’un Bruno Mégret ou d’un Jean-Claude Martinez : point de « Conseil scientifique du Front National » ni de « Documents pour la France » vaguement bidonnés pour faire croire au développement d’une expertise propre au FN. Elle préfère adopter la technique du coucou en faisant couver ses œufs électoraux par les autres partis. Et ça marche !

Pour une bonne et simple raison : les partis « de gouvernement » n’absorbent que lentement les idées nouvelles alors que la candidate frontiste accompagne rapidement l’évolution de notre société. Ainsi s’approprie-t-elle les thèses économiques hétérodoxes de Jacques Sapir et Jean-Luc Gréau, tout en clamant sa proximité de vues avec Jean-Pierre Chevènement, Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg.

À ce sujet, certains médias contribuent à son entreprise de légitimation en observant un peu hâtivement que Marine Le Pen parle « elle aussi » de démondialisation. En fait, alors qu’Arnaud Montebourg s’est saisi du concept inventé par Walden Bello depuis de longs mois, Marine Le Pen ne l’a évoqué que fort tardivement, après la publication du livre éponyme de Jacques Sapir[1. Qui ne l’a du reste pas épargnée dans plusieurs textes parus sur Marianne2]. À croire que certains ont intérêt à disqualifier l’idée de démondialisation en la « lepénisant ». Mais refermons la parenthèse.

Comme tout parti politique, le Front National veut faire des voix. Historiquement, son premier électorat était une droite radicalisée née sur les décombres du vichysme et de l’Algérie Française. Vinrent ensuite des électeurs issus des classes populaires, de droite d’abord, de gauche ensuite. Aujourd’hui, Marine Le Pen s’adresse aux classes moyennes déclassées – fonctionnaires ou diplômés précarisés. Son nouveau cœur de cible est constitué de ces millions d’actifs qui, passé l’âge de vingt-cinq ans, se retrouvent confrontés à l’extrême violence du système économique. Pour continuer sa progression dans cette frange de la société, Madame Le Pen a besoin de carburant idéologique. Cherchant à conquérir des secteurs sociologiques traditionnellement réfractaires au FN, elle s’empare de tous les impensés de la gauche – le libre-échange, la domination de la finance, la laïcité – pour en faire son miel. La contestation du système étant passée à droite, la reconversion droitière de ces thématiques s’annonce riche en potentialités électorales.

L’extrême droite de gouvernement : le modèle Bossi

Reste à savoir si Marine Le Pen peut réaliser cette mutation stratégique en se « recentrant ». Ceux qui croient ou feignent de croire à sa volonté de normalisation rappellent le précédent de l’italien Gianfranco Fini, qui a transformé le mouvement néo-fasciste MSI en Alleanza Nazionale pour en faire un parti de droite libérale classique – rebaptisé Futuro e Liberta – et aspire désormais à gouverner avec le « centre-gauche » boboïsant de Francesco Rutelli.

Seulement, Marine Le Pen ne veut pas faire du FN un parti comme un autre. Elle n’y a pas intérêt. Pour garder le parallèle avec l’Italie, la présidente du Front prend plutôt modèle sur l’« extrême droite de gouvernement » qu’incarne Umberto Bossi. Le leader de la Ligue du Nord accumule les paradoxes : à la fois contestataire et gestionnaire de 400 communes de l’Italie septentrionale, co-inspirateur des lois Bossi-Fini sur l’immigration, meilleur soutien du gouvernement Berlusconi qui lui a confié le ministère de l’Intérieur, il n’a rien renié de son extrémisme. Au contraire, Bossi parvient à prendre en otage le Cavaliere par sa surenchère anti-immigrationniste qui lui a même permis de faire de la très méridionale Lampedusa la vitrine de son action municipale et nationale. Tout compte fait, se muer en « extrême droite de gouvernement » implique un pari assez peu risqué. Grâce à l’hégémonie idéologique de la droite, la Ligue du nord peut spéculer sur l’inertie de la « gauche » tout en restant aux avant-postes du pouvoir. Résultat des courses : « Dans le nord de l’Italie, plus aucun ouvrier ne vote à gauche ! », ainsi qu’Umberto Bossi le déclarait crânement en mars 2010.

Ses meilleurs alliés : la bonne conscience de gauche et l’inconscience de droite

Face aux nouvelles extrêmes droites incarnées par Bossi et Marine Le Pen, la « gauche Minc » fait une erreur d’analyse manifeste en se déportant vers le centre libéral sans fournir de réponse crédible aux questions économiques et sociales posées par la mondialisation. Mais le bruyant collectif de la Droite populaire n’est pas mieux armé pour contrer la percée du FN. Faute de critique de la mondialisation, ces députés UMP n’ont aucune chance d’enrayer la progression de la dame de Montretout. Ils répondent davantage au Le Pen de 1986 qu’à la Le Pen de 2011. Moralité : Marine et Umberto trouvent de solides renforts avec la bonne conscience de gauche et l’inconscience de droite !

Conséquence de ce choix stratégique, Madame Le Pen fuit un débat qui pourrait lui être fatal – politiquement. Elle surfe sur des impensés, ce qui la dispense de démontrer la justesse de son projet. En revanche, elle ne craint pas de passer devant le tribunal d’Inquisition antifasciste de Caroline Fourest et Laurent Joffrin. Par leurs imprécisions et une finesse d’analyse très relative, ces derniers lui rendent le service qu’elle attend : incarner l’unique opposition à l’« UMPS » !

Dans un univers fonctionnant à la posture ou à la petite phrase, Marine Le Pen n’affronte que les feux de Bengale d’un antiracisme incantatoire doublé d’un antifascisme d’opérette. Si elle refuse d’exposer ses lacunes aux regards des penseurs qu’elle cite (Todd, Sapir, Montebourg, Chevènement), c’est bien pour dissimuler l’insigne vacuité de la politicienne post-loftienne qu’elle est.

En conséquence, elle nous en dit plus sur la politique française, la gauche et la République que sur l’extrême droite.



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est docteur en science politique et essayiste

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