Soixante ans après les indépendances, pourquoi sommes-nous incapable de tourner la page du colonialisme ?
On n’est pas responsable de ses parents, encore moins de ses grands parents. Les Français ne sont donc pas coupables des erreurs commises par leurs aïeux lors de la colonisation. Pourtant, beaucoup sont inconsciemment taraudés par ces questions. Victimes du purgatoire postcolonial, ils marchent tête baissée. La traite transatlantique a duré quatre siècles. C’est trop évidemment, beaucoup trop ; mais c’est moins que quatorze siècles de traite arabo-musulmane et son contingent de castrations.
La colonisation, un péché originel
Les partisans du purgatoire n’en ont cure : la colonisation occidentale fut un péché capital qu’il s’agit d’expier. Dans cette croisade pour la culpabilité, même l’Eglise n’est pas épargnée. Oubliée, la controverse de Valladolid, balayé, Bartolomé de las Casas. La couronne occidentale doit payer et l’Etat français est évidemment dans le viseur. Si l’incarnation la plus parodique réside dans les « indigènes de la République », des divisions se sont insidieusement glissées dans la presse, dans certaines universités, dans des ministères.
La Grande-Bretagne est parfois brandie comme modèle de conduite post coloniale. C’est omettre que contrairement à la France, le pays du Brexit avait « soumis à l’obligation de visa les originaires de leurs anciennes colonies » disait Daniel Lefeuvre dès leur accession à l’indépendance. Ceci n’exonère pas l’Etat français de fautes certaines. Entre 1962 et 1984, au moins 2000 enfants réunionnais furent quasiment arrachés à leurs parents pour peupler la Corrèze. L’épisode des « Enfants de la Creuse » devrait être porté à la connaissance des nouvelles générations. Ce genre de drame mériterait qu’on lève le voile sur certaines facettes de notre histoire. Mais le peuple français n’est pas responsable des fautes morales de ses dirigeants passés.
Essentialiser les origines
Pour certains pasteurs du progrès, le purgatoire post colonial est une étape obligée. Il s’agirait ainsi de lutter contre le racisme et la xénophobie. Le racisme est une idéologie qui stipule qu’il y aurait des inégalités entre les êtres en fonction de leur couleur de peau. Envisager cette grille de lecture est une aberration. Essentialiser les hommes selon leur couleur de peau l’est quasiment autant. Pour autant, les apôtres du purgatoire ne s’en privent pas. Pour eux, un Français noir est avant tout un Noir, un Français d’origine arabe est avant tout un Arabe, un Français d’origine juive est avant tout un Juif, les autres ne restant « que » des Français.
L’immigré, ce client idéal
La figure de l’immigré est également essentialisée. L’immigré serait nécessairement un ancien colonisé, par conséquent un ancien oppressé. Bien que lui même n’ait jamais connu les galères de la traite ou les brimades des colons, il aurait légitimement droit à une revanche. L’immigré est utilisé pour incarner une Némésis contemporaine. Nul besoin de se réclamer des « indigènes de la République » pour tomber dans cet écueil. Une partie de la gauche est contaminée depuis des années.
Les bases d’un dialogue serein sur l’immigration sont donc sapées. Celui qui osera affirmer que le visage de la France pourrait s’en trouver transformé est suspecté de racisme, ou tout au moins de carences d’altruisme. Ce terrain miné n’est pourtant pas la propriété du Rassemblement National : en décembre dernier, sept Français sur dix estimaient dans une enquête de l’Ifop que « le pays n’avait plus les moyens d’accueillir des immigrés ». Les débats n’en restent pas moins hystérisés, évoquer publiquement des inquiétudes suscite des levées de boucliers. Des voix excellent dans l’art d’accuser de jouer le jeu de qui l’on sait.
Le « damné de la Terre » vient avec sa culture
Pour les partisans de la purge, l’essentiel des malheurs de l’Afrique découle de la colonisation. Pour le Rassemblement National, l’essentiel des problèmes de la France est dû l’immigration. La réalité est sans doute plus nuancée. Le visage de la France n’en a pas moins changé. Fuyant des systèmes économiques et sociaux défaillants, les « damnés de la Terre » débarquent chez nous en quête de jours meilleurs. S’ils ne viennent sans doute pas guidés par l’intention de nous conquérir, ils débarquent assurément avec leurs cultures. Les uns resteront, les autres repartiront à la retraite « au pays », où certains se font construire une maison. Plus leur diaspora est nombreuse et leurs ressources limitées, plus leur intégration sera longue. Certains pratiqueront une fusion culturelle, d’autres un séparatisme culturel de fait. D’autres encore s’intégreront bien. Quelques heureux élus connaîtront, nous le souhaitons, de remarquables parcours. À l’instar de l’écrivain française d’origine iranienne Maryam Madjidi, proche du Parti communiste, ils seront alors récupérés par quelque homme politique de gauche sur un plateau télé.
Mémoire ne rime pas avec purgatoire
Selon un sondage BVA, 52 % des Français restaient favorables à l’accueil des réfugiés en décembre dernier. Quant à la France, elle va accueillir trente nouveaux affamés bloqués sur le navire « Gregoretti ». Trop peu pour certains, sans doute. Allons donc voir de l’autre côté de la Méditerranée. En Algérie, 120 réfugiés, dont des Palestiniens, étaient portés disparus en janvier dernier. En Turquie, des réfugiés syriens sont traqués. En Tunisie, un étudiant congolais a été agressé à coups de couteaux le 24 juillet. Ses agresseurs ne lui ayant rien volé, le caractère négrophobe du forfait ne fait guère de doute. Au Maroc, il est explicitement écrit « pas d’Africains » dans certaines annonces immobilières. Le supposé racisme enraciné n’est peut-être pas de ce côté-ci de la Méditerranée.
Le travail de mémoire est nécessaire, évidemment. « Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence », disait Elie Wiesel. Mais travail de mémoire ne rime pas nécessairement avec purgatoire. Le purgatoire post colonial est pernicieux. Il ne propose aucun projet d’avenir, il mine l’estime de soi, il ne bénéficie ni aux Français, ni aux immigrés. Il ne profite qu’aux dévots du talion, qui utilisent les drames de leurs ancêtres pour susciter des divisions. Bien qu’il soit assez bien ancré, il est encore possible de s’en extirper. Le ciment de notre société en dépend.
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