La colonisation, c’est ici et maintenant


La colonisation, c’est ici et maintenant

renaud camus hannah

Chère Élisabeth Lévy,

Vous me proposez un « droit de réponse » à propos du texte de M. Guy Sitbon, « Lettre d’un remplaceur à Renaud Camus », paru dans le numéro 14 de Causeur. Votre offre généreuse prouve bien qu’il n’y a pas matière, car − dans mon expérience tout du moins −, lorsqu’il faudrait vraiment user d’un droit de réponse, les magazines se gardent bien de le proposer ; et même ils refusent qu’on l’exerce, si on en prend l’initiative.

Non, je n’ai rien à redire à l’amusante missive du remplaceur. Elle est courtoise, drôle, gentille (c’est un compliment dans mon esprit) ; un peu familière sans doute, mais c’est parfaitement conforme à l’idéologie du « sympa » et, sympa, elle l’est de bout en bout. Elle a le mérite justement d’exposer à nu les limites de cette vision du monde, qui sont qu’elle n’en voit rien, du monde ; que, plus exactement, elle en manque l’essentiel ; que l’énormité de ce qui survient lui échappe, justement parce que c’est énorme ; et aussi, hélas, parce que c’est horrible. La réalité que décrit M. Sitbon est charmante, tout le monde a envie d’y croire. Elle n’a d’autre défaut que d’être fausse, fausse, fausse − et de l’être un peu plus tous les jours.

Vous avez choisi un remplaceur bien doux. Pourtant, tous ceux qui pensent comme moi − et, par chance pour moi, ils sont de plus en plus nombreux − n’ont qu’une réaction en lisant M. Sitbon : décidément, c’est encore pis que ce qu’on croyait, cette affaire de Grand Remplacement. Il est urgent d’y mettre fin. Vivement la remigration ![access capability= »lire_inedits »]

De ce « concept »-là  je ne suis nullement l’inventeur, faut-il le dire ? Quant à la chose si elle survient, comme je l’espère, M. Sitbon n’y est nullement exposé, puisqu’il aime tant notre pays ; et pas non plus son ami Béchir, probablement, quoique je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer sa prose à lui. Mais nous autres indigènes, nous sommes comme les ancêtres de Béchir − que voulez-vous, il y a tant en commun dans l’espèce humaine ! Nous n’en pouvons plus de la colonisation, nous non plus.

Et qu’elle soit comme ci ou comme ça − accomplie au moyen d’une armée ou de la submersion par le nombre, opérée par le truchement de zouaves ou par celui de la racaille, appuyée sur l’opulence du conquérant ou, plus subtilement, sur sa misère −, ces différentes formes possibles ne changent rien au fond, et n’ont d’autre effet, éventuellement, que d’abuser sur sa réalité les âmes tendres : mais c’est toujours la colonisation, si bien décrite par Fanon, par Césaire et tant d’autres. Et celle que nous subissons, si elle ne compte pas parmi les plus immédiatement reconnaissables, ne figure pas non plus parmi les plus plaisantes, ni les plus constructives, ni surtout les plus civilisatrices, bien au contraire.

Désolé, ça ne peut plus durer − comme pour les aïeux de Béchir, l’heure de la révolte a sonné : c’est trop d’humiliations quotidiennes, trop de soumission requise et imposée, trop d’écrasement de la vérité, trop de répression contre les résistants, trop de deux poids-deux mesures, trop d’abjectes collaborations, trop de défis permanents, trop de violences petites et grandes, trop d’argent jeté par les fenêtres et offert en tribut pour payer notre propre asservissement, trop de saccages de l’environnement, trop de territoires perdus, trop d’évacuations forcées, trop de transformations pour le pire de tout ce que nous avons connu, trop de destructions de tout ce que nous aimons, M. Sitbon et nous.[/access]

*Photo: Hannah

Eté 2014 #15

Article extrait du Magazine Causeur



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Écrivain.

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