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Colombie: Gustavo Petro, le gaucho au pays des libéraux

L'ex-guérillero bouscule la droite à quelques jours de la présidentielle


Colombie: Gustavo Petro, le gaucho au pays des libéraux
Gustavo Petro lorsqu'il était maire de Bogota, 2014. SIPA. AP21506171_000001

Gustavo Petro, 58 ans, est l’homme de la gauche pour la présidentielle du 27 mai. Au pays de la droite reine, le programme de l’ex-guérillero détonne et séduit. Au point de faire basculer la Colombie ?


Alors que l’incarcération de Lula vient contrarier les espoirs de la gauche au Brésil, une partie de la presse a son attention portée sur ce qui serait une petite révolution : après soixante ans de gouvernements de droite, les Colombiens pourraient décider de porter au pouvoir Gustavo Petro, un économiste de gauche.

Ancien maire de Bogota, ancien militant du mouvement de guérilla urbaine M-19, mais aussi diplômé de l’université catholique de Louvain en Belgique, et adhérent à la théologie de la libération, cet élégant politicard en fin de cinquantaine est donné gagnant par plusieurs sondages. Ce qui incite à la prudence, c’est que, d’une part, les Colombiens ont penché à droite aux législatives et sénatoriales de mars dernier, et que par ailleurs, ces mêmes Colombiens, supposés approuver l’accord de paix avec les FARC d’après les fameux sondages, ont massivement rejeté celui-ci dans les urnes. Il est donc délicat de pronostiquer si le pays va réellement succomber au charisme du candidat, ou s’il va préférer continuer dans le même train qui le mène depuis l’assassinat de Jorge Gaitan, populaire réformateur des années 1940 – dont se revendique Petro – qui ne trouve désormais sa place que sur les billets de mille pesos (trente centimes d’euros)…

« Mettre les politiciens corrompus en prison et leur faire rendre l’argent qu’ils ont volé »

Néanmoins, le programme de Monsieur Petro mérite qu’on s’y arrête un peu, car il est assez inédit pour l’Etat qui doit son nom au malheureux conquérant génois : valorisation de l’éducation et création d’ « universités gratuites recherchant la qualité et l’excellence », santé « publique et gratuite pour tous sans discriminations »… Rien que cela serait tout à fait révolutionnaire pour ce pays à côté duquel le système français ferait presque figure d’Etat socialiste : dans la Colombie actuelle, si vous n’êtes pas de bonne famille, oubliez les études supérieures et ne pensez même pas survivre à un cancer… Mais le favori des sondeurs veut aussi préserver l’accord de paix avec les FARC, « mettre les politiciens corrompus en prison et leur faire rendre l’argent qu’ils ont volé », discuter avec Trump, et, non moins intéressant, sortir son pays de la dépendance au pétrole. Ne serait-ce que sur ce point, la « Colombie humaine » proposée par le candidat est difficilement assimilable à la société vénézuélienne en décrépitude du « camarade » Maduro.

Soixante ans de conflits laissent des cicatrices, Gustavo Petro n’a donc pas que des amis. Ses adversaires ne le ménagent pas. Son passé de militant pour une guérilla urbaine – qui lui valut d’être torturé par l’armée et emprisonné – lui revient toujours au nez. Bien qu’il ait dit considérer Nicolas Maduro comme un dictateur, il est taxé de populisme par une partie de la presse du pays – qui va même jusqu’à le comparer à Donald Trump. Les compagnons d’Alvaro Uribe – qui incarne la droite du pays -, l’ont, eux aussi, qualifié de « castrochaviste » : ils agitent inlassablement le spectre des expropriations et d’un chaos sur le modèle du Vénézuela voisin. Pour couronner le tout, Timochenko, leader des FARC recyclées en parti politique, s’est retiré de la course à la présidentielle (officiellement pour raisons de santé) du 27 mai, et pourrait soutenir Petro. Un soutien des plus encombrants pour ce dernier, qui s’est empressé de déclarer qu’il n’avait rien à voir avec les FARC.

Populiste et populaire, mais…

Depuis quelques années, Gustavo Petro reçoit régulièrement des menaces de mort. Et le 2 mars dernier, sa voiture blindée a carrément essuyé des jets de pierres à Cucuta, une commune située à deux pas de l’Etat chaviste. Dans la mesure où cinq candidats à la présidence ont été assassinés à la fin du XXe siècle, et que près de trois cents militants syndicaux ont été assassinés depuis janvier 2016, on comprendrait qu’il craigne pour sa vie. A-t-il peur ? En tout cas, il n’en laisse rien paraître : il sillonne son pays. De Cali l’authentique à la belle Carthagène des Indes, en passant par la sinistrée Buenaventura, il remue les Colombiens de gauche (oui, il y en a) lors de meetings en plein air. Enfilant parfois – quitte à faire sourire – le costume traditionnel de la région où il va, il tient de longs discours sans notes, promettant du social, une paix pérenne, d’en finir avec la corruption et de redonner ses lettres de noblesse au pays. Sur sa page Facebook, qui comptabilise plus d’un million de sympathisants – soit plus du double de celle d’Ivan Duque, son principal rival –  il pose tout sourire en chemise blanche en compagnie d’Amérindiens. L’homme qui veut incarner le peuple face à la « dictature de la corruption » (comme il a qualifié le pays lors d’un meeting à Ibagué) est à l’aise avec les petites gens des périphéries et la jeunesse, et semble avoir tout compris à l’art de la communication.

Après soixante ans d’une droitisation de l’opinion due à la chaotique guérilla des Farc, la gauche colombienne a donc trouvé son homme. Pour enfin accéder au pouvoir ? Quoiqu’en laissent croire les fameux sondages, il semble difficilement envisageable qu’elle y parvienne vraiment : à tort ou à raison, l’opinion reste encore sceptique envers une gauche qui pourrait la mener vers l’inconnu ; tandis qu’en choisissant Ivan Duque, le protégé d’Alvaro Uribe, elle sait au moins où elle va. Les résultats des législatives et sénatoriales vont dans ce sens. Mais alors que la gauche latino-américaine tombe en disgrâce depuis quelques années, il est compréhensible qu’elle voit en la Colombie une terre d’espérance. Pour un mois ou pour quatre ans ?



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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