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Colombie: «L’objectif des FARC est d’ouvrir l’espace démocratique»


Colombie: «L’objectif des FARC est d’ouvrir l’espace démocratique»
Juan Manuel Santos et "Timochenko" se congratulent après la signature de l'accord de paix à Bogota, novembre 2016. SIPA. AP21980392_000008
Juan Manuel Santos et "Timochenko" se congratulent après la signature de l'accord de paix à Bogota, novembre 2016. SIPA. AP21980392_000008

Causeur: Cette fois ça y est, l’accord de paix avec les FARC a été ratifié par le Congrès et semble être enfin mis en route. Etes-vous confiant quant à sa bonne concrétisation ?

Maurice Lemoine:[1. Ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, Maurice Lemoine est journaliste et spécialiste de la Colombie] J’ai beau être d’une nature optimiste, on est dans une phase extrêmement délicate. Le Congrès a entériné l’accord de paix mais on est dans une grande période d’incertitude : la Cour constitutionnelle a du mal à décider si l’ensemble des accords va être mis en musique à travers la « voie rapide », qui permettrait de mettre en place, très rapidement, les instruments juridiques comme  la loi d’amnistie, ou la levée des mandats d’arrêts. Pour le moment, on est au milieu du vide. Il y a donc nature à être inquiet. En passant par la voie normale, le processus prendrait entre six mois et un an. Or les guérilleros sont déjà dans des camps de pré-regroupement, sans activité et dans une incertitude totale. N’importe quel indicent, d’où qu’il provienne, remettrait en cause les accords de paix. La période est donc particulièrement critique.

Les Colombiens – y compris ceux qui ont voté « oui » au référendum – semblent craindre la réintégration des anciens guérilleros dans la vie civile. N’est-ce pas un des points de discordes de l’accord ?

Les FARC ne sont pas des enfants de chœur et on peut leur reprocher beaucoup de choses. Même les Colombiens qui ont voté « oui » sont loin de leur être acquis. Mais le problème se pose surtout par rapport à deux points principaux. D’abord, la justice transitionnelle : celle-ci prévoit que les guérilleros vont devoir s’expliquer, y compris sur des crimes graves, des crimes contre l’humanité. Sauf que les acteurs civils ou militaires vont devoir en faire de même. Il y a donc une grande inquiétude dans ce qu’on appelle l’ « establecimiento ». La droite colombienne avait imaginé qu’on mettrait les guérilléros en jugement, point. Mais dans le cadre de la « commission des vérités », tout le monde va devoir s’expliquer. L’autre élément du problème, c’est qu’il y a des gens qui craignent de voir dix sièges au Sénat réservés à la guérilla au titre que, dans les années 80, la moitié des quatorze sénateurs de l’Union patriotique, le parti des FARC, a été assassinée. Ce conflit a été très long et très sanglant, les plaies sont encore grandes ouvertes…

Un autre sujet d’inquiétude est le bon déroulement de la restitution des terres prises aux paysans durant le conflit…

C’est une des raisons du « non ». Si on considère que tout le monde va devoir témoigner, on va probablement découvrir que les déplacements de population effectués par les paramilitaires ont permis l’installation de nouveaux propriétaires. On va donc éventuellement dévoiler au grand jour qui sont les propriétaires imbus des terres. C’est la grande crainte du camp d’Alvaro Uribe. Une loi de restitution des terres a déjà été votée. Ses conséquences ont été catastrophiques : un certain nombre de dirigeants paysans qui ont réclamé des terres qui leur avaient été volées ont été assassinés. Cela nous ramène à une des difficultés de cet accord de paix : les paramilitaires sont toujours bien présents.

Après le « non » au référendum, le président colombien Santos n’a plus souhaité passer par cette voie : cela ne risque-t-il pas de délégitimer le nouvel accord et de renforcer la popularité de l’ancien président Uribe, très critique à l’égard des négociations de paix ?

C’est effectivement un problème. Le conflit se déroule dans les campagnes et les villes sont très remontées contre les FARC. Le fait de faire passer cet accord par le Congrès donne des armes aux défenseurs du « non », en particulier, vous l’avez dit, à Alvaro Uribe. D’autant plus que la prochaine élection présidentielle aura lieu l’an prochain. Mais l’objet de l’accord, au-delà d’une simple décision politique, est d’arrêter un conflit qui a fait, selon les sources, entre 220 000 et 450 0000 morts, et de ne pas faire de nouvelles victimes. Il n’y a de victoire militaire possible pour aucune des parties.

« Timochenko », le leader des FARC, reste impopulaire en Colombie et, le cas de Gustavo Petro (ancien guérillero, devenu maire de Bogota) mis à part, les Colombiens semblent très méfiants vis-à-vis de l’extrême gauche ou même de la gauche sociale. Les FARC ne sont-ils pas les principaux responsables de cette situation ?

La gauche démocratique a, en effet, toujours été attaquée du fait de l’existence des FARC. Mais en même temps, si la guérilla a existé, c’est parce qu’on a globalement toujours empêché la gauche de participer à la vie démocratique – sauf dans les grandes villes qui sous, depuis quelques années, l’œil de la communauté internationale. Alors bien sûr, si « Timochenko » se présente demain à la présidentielle, il fera 1,5 % des voix. Mais l’objectif des FARC est d’ouvrir l’espace démocratique, et d’y peser à moyen et long terme, y compris par le jeu des alliances. Cela se fera dans la durée. Regardez le Salvador où un accord de paix a eu lieu en 1992. Quand le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN) est revenu dans la vie politique, il a d’abord obtenu quelques députés. Et depuis deux ans, le pays est présidé par Salvador Sánchez Cerén, un ancien dirigeant du FMLN.

L’une des surprises du référendum fut le poids du « vote évangélique » dans la victoire du « non ». Il y aurait environ dix millions d’évangéliques en Colombie. Pensez-vous que ce courant pourrait peser, à l’avenir, sur le jeu politique ?

Oui, c’est un courant qui pèse en Amérique latine : au Brésil, il a notamment été impliqué dans ce que j’appelle le « renversement » de Dilma Rousseff. Jean-Paul II ayant cassé ce qu’on appelle la théologie de la libération, c’est-à-dire l’Eglise progressiste, le vide a été rempli par les Evangéliques, qui n’ont, eux, rien de progressistes. Ils ont une pratique très en phase avec les latino-américains, car ils sont beaucoup dans l’expression corporelle. En Colombie, les Eglises évangéliques ont globalement appelé à voter « non » au référendum. Mais la partie qu’elles considéraient comme relevant de la « théorie du genre » a été retirée des accords, elles sont désormais plus favorables à cet accord. Et risquent de continuer à peser en Colombie dans les années à venir.

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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