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Colombani, bon pour la Réforme ?


Colombani, bon pour la Réforme ?

Samedi 21 mars 2009, 12 heures 50, France Culture, La Rumeur du Monde. Grand moment d’étonnement, ou de panique rentrée, de la part de Jean-Marie Colombani, l’animateur somnifère de ce talk-show pour les derniers « lou ravi » de l’économie de marché, dans sa version idyllique de l’époque qui nous semble déjà si lointaine, celle d’avant l’apocalypse des subprimes.

« Il semblerait que l’idée même de réforme soit devenue impopulaire », susurre ainsi ce parangon de la pensée unique, ce mètre-étalon du lieu commun libéral. S’il ne devait en rester qu’un, ce serait lui, auraient versifié ou chanté en termes voisins Victor Hugo et Eddy Mitchell. Le dernier à croire dans les vertus de la libre entreprise, du monétarisme, du capitalisme autorégulé, de la concurrence libre et non faussée, tous ces dogmes de la Sainte Foi qu’il propagea en infatigable évangéliste du marché pendant des années d’arrogance méprisante pour toute analyse qui aurait comporté ne serait-ce qu’un soupçon, une larmichette, une dose homéopathique de keynésianisme, même édulcoré.

« Il semblerait que l’idée même de réforme soit devenue impopulaire. » Savourons cette phrase. Colombani commentait ainsi les imposants défilés du 19 mars, en guise d’introduction à l’un de ses filandreux et interminables dialogues avec Jean-Claude Casanova, archéo-barriste girondin et aronien insubmersible, persuadé que tant qu’il restera quelques fonctionnaires en France, (sauf de police, évidemment…) nous serons en Union Soviétique.

Ce qui étonne, c’est surtout l’étonnement de Monsieur Colombani. Pour qu’il comprenne ce qui lui arrive, qu’on nous permette de le renvoyer à un livre remarquable, vieux d’une douzaine d’années mais toujours d’une singulière actualité pour ceux qui veulent éviter les chausse-trappes lexicales de la novlangue néo-libérale. Il s’agit d’un ouvrage qui se présente comme un dictionnaire, Le marché des mots, les mots du marché de Raoul Villette[1. Les nuits rouges/L’insomniaque, 1997, encore trouvable avec quelques efforts.]. À l’article « Réforme », on peut lire la définition suivante : « Liquidation des conquêtes sociales. Patronat et syndicats se battent désormais à fronts renversés. Le premier s’est emparé avec l’aide des médias de la connotation positive du mot pour imposer ses revendications tandis que les seconds obsédés par l’idée de déclencher un mouvement social qu’ils ne contrôleraient pas se sont laissé enfermer dans une posture « conservatrice » des avantages acquis complètement inefficace. »

Il semblerait donc, au grand dam de Monsieur Colombani, que si l’économie spectaculaire marchande s’effondre, on redécouvre sur le terrain du langage la bonne vieille adéquation entre signifiant et signifié ; par là-même, les mots retrouvent une valeur d’usage confisquée jusque-là par l’efficace propagande du Capital. Il est amusant, également, de constater que les exemples donnés par Raoul Villette pour illustrer sa définition sont tous extraits du journal Le Monde de 1995-1997, période fastueuse où le règne du même Colombani sur le malheureux quotidien du soir commençait et allait par la suite se révéler, comme on le sait, si brillant en ouvrant une grande ère de tolérance et d’investigation audacieuse et impartiale. Dégustons, par exemple, cette inoubliable citation de Jacques Toubon[2. Homme politique parisien de la fin du vingtième siècle.] du 25 septembre 1995 : « Nous avons à mener une politique de réformes pour aboutir au changement. »

La revanche des mots, récupérant leur fraîcheur originelle, voilà ce qui commence à faire vraiment peur aux élites autoproclamées. Aussi peur, finalement, que les millions de manifestants parmi lesquels une infirmière, une chercheuse ou une ouvrière de Continental aurait pu dire à Colombani, à l’instar de Martine dans Les Femmes Savantes :

« Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;
Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon. »



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