Ce qui s’est passé dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier devant la gare de Cologne a choqué l’Allemagne toute entière. L’esplanade de la gare, voisine de la place de la cathédrale, le plus imposant édifice gothique européen, est le lieu habituel des grands rassemblements festifs de la métropole rhénane. On y vient dans les grandes occasions, au nouvel an, bien sûr, mais aussi à la fin du plus grand défilé carnavalesque existant en Europe, et pour fêter les exploits de l’équipe de foot locale, le FC Köln. Cologne passe pour la plus joyeuse, la moins coincée des cités germaniques, adepte d’une morale libertaire-libertine sous la houlette d’un catholicisme permissif et bon enfant.
Les réjouissances de passage au nouvel an ont tourné au cauchemar lorsqu’une bande de plusieurs centaines de jeunes mâles, passablement alcoolisés et visiblement en rut, ont agressé sexuellement et dépouillé de leurs objets de valeur plusieurs dizaines de jeunes femmes, dont au moins trois ont été victimes de viol au sens juridique du terme, selon la police. Cette dernière n’avait pas vu venir le coup, et avait mis en place le dispositif minimal visant à prévenir les débordements, à la Saint Sylvestre, d’une foule dopée au Sekt, le mousseux local. Les policiers, peu nombreux et mal équipés, sont totalement débordés : les agresseurs encerclent les victimes, défient les forces de l’ordre en arguant même de leur statut de demandeurs d’asile, et pour certains d’entre eux de leur nationalité syrienne qui leur donne tous les droits. Ces témoignages de policiers ne seront divulgués dans la presse que quatre jours après les faits, alors que les responsables de la police de la ville avaient décidé de mettre le couvercle sur ces graves incidents… Un vigile, employé pour la soirée du réveillon d’un hôtel de luxe situé sur l’esplanade, témoigne de la détresse de femmes pourchassées, les vêtements en désordre, le suppliant de les laisser entrer dans le hall de l’établissement. Ce videur d’origine serbe, champion de sport de combat, mettra plusieurs des agresseurs au tapis. Le 1er janvier, dans l’aube blafarde et embrouillardée d’un matin d’hiver au bord du Rhin, c’est le coup de massue : les plaintes affluent au commissariat central, relatives aux incidents de la nuit qui, par ailleurs, enflamment les réseaux sociaux. Le porte-parole de la police lâche alors une bombe : les auteurs de ces agressions, selon les témoignages des victimes, sont des hommes jeunes « d’origine nord-africaine ou arabe ». On remarquera qu’outre Rhin, on ne s’embarrasse pas de périphrases emberlificotées pour appeler un chat un chat, et des délinquants relevant d’une origine ethnique précise, agissant en bande organisée, ne deviennent pas des jeunes issus des quartiers populaires par un tour de passe-passe sémantique.
En France, on aurait immédiatement dénoncé l’intolérable stigmatisation dont aurait été victime toute une communauté en raison de la mauvaise conduite de quelques mauvais sujets auteurs « d’incivilités » regrettables, certes, mais compréhensibles en raison des humiliations qu’ils subissent quotidiennement. Il faut pourtant lire cette déclaration policière à la lumière de la situation allemande : en désignant nommément les « nord-africains et les arabes », la police de Cologne exonérait la plus importante communauté allogène de la ville, les quelques dizaines de milliers de Turcs installés depuis des décennies dans la ville natale de Jacques Offenbach, des turpitudes commises par d’autres étrangers. Jamais les Turcs n’ont posé à la société allemande dans son ensemble les problèmes que d’autres pays, comme la France ou la Belgique, rencontrent avec une immigration issue de leurs anciennes colonies. Solidement structurés dans leurs organisations politiques autonomes, les Turcs ne causent de soucis aux autorités du pays hôte que lorsqu’ils règlent, sur le sol allemand, des comptes violents liés aux conflits ethniques et politiques de leur pays d’origine, notamment avec les Kurdes… L’afflux récent, en Allemagne, d’une nouvelle immigration, en provenance du Moyen Orient et du Maghreb, change notablement la donne. Pour la plupart, ce sont des hommes jeunes qui viennent seuls, alors que l’immigration turque est pour l’essentielle familiale. Laissés à eux-mêmes, sans encadrement politique ou associatif, ils se trouvent brusquement plongés dans une société permissive, où les femmes n’ont pas froid aux yeux ni ailleurs, se sentant à l’abri du code de bonne conduite implicite en vigueur dans les rapports hommes-femmes made in Germany. Le mâle allemand étant plutôt dur à dégeler, il n’est pas incongru, outre Rhin, pour les jeunes femmes, de présenter un visage affable dans les lieux publics, de répondre aimablement à un inconnu qui vous complimente sur votre aspect, sans que cela risque d’être interprété comme une invitation à forniquer séance tenante. Venus de sociétés où la frustration sexuelle des jeunes gens est la règle, en raison du statut des femmes dans les sociétés traditionnelles, les violeurs de Cologne (et de quelques autres villes d’Allemagne où des faits similaires ont été révélés dans la foulée) ont pris à la lettre les propos d’Angela Merkel demandant aux citoyens allemands d’accueillir à bras ouverts les réfugiés. La satisfaction de leur désir sexuel, faisait, pour eux, partie des droits ouverts par le statut de réfugié que l’Allemagne leur accordait, au même titre que l’hébergement et le pécule attribué aux demandeurs d’asile. Résultat : Il ne s’agit pas de débordements individuels, ni isolés, comme on a pu le constater en France dans la même période. En Allemagne, ce sont des émeutes sexuelles de masse, planifiées dans les foyers d’hébergement, auxquelles ont participé jusqu’à deux-mille personnes dans les endroits les plus chauds.
C’est pourquoi l’affaire de Cologne a produit le même effet, toutes proportions gardées, que le mitraillage à la kalach’ des siroteurs de mojitos sur les terrasses des bistrots du Boboland parisien : une atteinte gravissime aux modes de vie et de comportement des aborigènes, les Allemands et Allemandes de souche.
On comprend alors la volée de bois vert qui s’est abattue sur la bourgmestre de Cologne, Henriette Reker, qui n’a rien trouvé de mieux, pour prévenir de nouveaux incidents de ce genre, que d’inviter les femmes de sa ville à adopter une attitude moins affable vis-à-vis des inconnus, en se « tenant à une distance d’au moins un bras tendu » de ces derniers, à se déplacer en groupe, et autres conseils dignes d’une chaisière de la cathédrale. On signale également des circulaires diffusées par des directeurs de lycées et collèges situés à proximité des foyers de réfugiés, demandant aux parents de veiller à ce que leurs filles arborent des tenues « discrètes » pour venir en cours, afin de ne pas tenter le diable !
Pour la chancelière Angela Merkel, nouvelle idole de Libé, Le Monde et Médiapart, l’affaire tombe on ne peut plus mal. Elle a peut-être sauvé l’honneur de l’Europe dans l’affaire des migrants, mais sans imaginer les conséquences de sa générosité sur la « deutsche Gemütlichkeit », cet art allemand de vivre et laisser vivre chacun et chacune avec son idée de la sociabilité conviviale. Les parti politiques, gauche et droite à l’unisson, souquent maintenant ferme pour remonter un courant fortement contraire : ils demandent la fin immédiate de la politique de porte ouverte aux migrants, et l’expulsion non moins immédiate des demandeurs d’asile coupables d’agissements du style de la nuit de Cologne. La « Schadenfreude », cette joie mauvaise de voir autrui dans la panade, submerge aujourd’hui quelques voisins de l’Allemagne, à Prague, Budapest ou Varsovie, qui s’étaient récemment fait sérieusement remonter les bretelles par Mutter Angela pour cause de réticences à accepter, chez eux, leur quota de jeunes gens pleins de force et d’ardeur. Mais il se pourrait qu’elle se transforme rapidement en angoisse : celle de voir désormais les foules de nouveaux migrants prendre le chemin de leurs villes, dans l’hypothèse où l’Allemagne – on ne sait pour quelle obscure raison – rechignerait désormais à les accueillir tous autant qu’ils sont.
*Photo : SIPA.AP21841244_000002.
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