Pap Ndiaye souhaite réformer le collège, « l’homme malade du système éducatif », dit-il — et ce n’est pas faux. Levée de boucliers dans le front syndical. Le ministre a-t-il tout faux, ou les syndicats sont-ils les meilleurs refuges de l’immobilisme ? se demande notre chroniqueur.
En 1982, François de Closets sortait Toujours plus, premier opus d’une série qu’il déclina par la suite avec Tant et plus (1992) et Plus encore (2006). Le journaliste y stigmatisait la passion française de la surenchère, dont les discussions sur la réforme des retraites sont aujourd’hui une illustration parfaite.
Ou les récriminations syndicales sur les dernières consignes de Pap Ndiaye concernant la classe de sixième, charnière de ce maillon faible appelé collège, « l’homme malade du système éducatif », comme dit le ministre.
Qu’a suggéré le ministre ?
Que durant le « cycle 3 » (depuis la réforme malencontreuse de Najat Vallaud-Belkacem, CM1 / CM2 et sixième ne font qu’un), on remette l’accent sur la dictée, l’apprentissage systématique de l’orthographe et de la grammaire, et la pratique du calcul mental. Des suggestions de bon sens, qui en amont en disent long sur l’abandon de ces pratiques dans les classes de primaire ; et qui en aval ont suscité les hurlements des enseignants, via leurs organisations syndicales. Caroline Beyer a résumé dans Le Figaro les consignes à venir du ministre : « Le Café pédagogique, noyau dur de la secte des pédagogistes qui a infiltré l’Educ-Nat depuis trois décennies, a sonné la charge : « Après des mois à user de métaphores pointant les problèmes, bien réels, du collège, le ministre en reste à des mesures cosmétiques. Enfermé dans le carcan des suppressions de postes et de la baisse de moyens humains, le ministre est incapable de répondre aux préoccupations centrales des personnels : revalorisation, baisse des effectifs dans les classes et amélioration des conditions de travail. » Une pétition signée par le Snes-FSU, le SNUipp-FSU, Le Snep-FSU et le SNUEP-FSU — le SNALC dit la même chose, mais comme il n’est pas dans les instances supérieures…
Diminution du nombre d’élèves et conservatisme syndical
Tout n’est pas faux dans ce pseudo-argumentaire. Les suppressions de postes, voire les fermetures de lycées, dont les élèves sont reversés dans d’autres établissements, sont la conséquence directe de la baisse des effectifs. Le mini-baby-boom des années 1995-2000 est derrière nous, la natalité a baissé nettement, et avec moins d’élèves les rectorats envisagent partout de fermer des classes. Rien qu’à Paris, en septembre 2022, on comptait 4000 élèves de moins en primaire et 2200 dans le second degré — chiffres qui seront très certainement les mêmes en septembre prochain. Ce n’est plus une diminution, c’est une hémorragie.
Crime suprême, alors qu’yaka diminuer le nombre d’élèves par classe, créer des postes d’enseignants, quitte à recruter la lie des universités, en les payant bien mieux que leurs aînés, qui avaient passé de vrais concours dont on ne relevait pas artificiellement les notes… Et tout ira mieux.
La pensée magique a de beaux jours devant elle.
Les syndicats sont en France, et dans le secteur éducatif particulièrement, des instances éminemment conservatrices. Quand Giscard et René Haby ont imposé le collège unique, on a entendu les hurlements de la FEN, alors fédération largement majoritaire. On dérangeait les habitudes — et on allait assister à une baisse du niveau, ce qui n’est pas faux.
Notons au passage que pour gérer ces classes où devaient s’intégrer de force les élèves les plus faibles, en particulier ceux arrivés la même année dans le cadre du regroupement familial décrété par le même président de la République, on a inventé le corps de PEGC, instituteurs promus en collège et enseignant deux matières. Tout comme aujourd’hui, pour enseigner l’orthographe aux élèves de sixième, le ministre compte sur des « professeurs des écoles » pour venir au collège gérer les élèves bien abîmés dans les années précédentes par ces mêmes « professeurs ». D’où l’humour involontaire des syndicalistes affirmant : « Si des difficultés existent en 6eme, ne serait-il pas nécessaire de les enrayer avant ? C’est notamment avec l’abaissement des effectifs dans toutes les classes de l’école primaire, la mise en place d’enseignants supplémentaires mais également en réabondant les postes d’enseignants de réseaux d’aides pour permettre de traiter la difficulté scolaire dans les classes que cela doit se faire. »
Et d’appeler à la mobilisation. Allez, camarades, une petite grève de 24 heures, comme d’habitude ?
Ndiaye veut une dictée quotidienne en CM1 et CM2
Le Monde parle donc du retour du « totem de la dictée ». Pour les enseignants du primaire, écrit Violaine Morin, « cet exercice n’a de sens que dans le contexte d’un travail plus vaste sur l’orthographe et la grammaire ».
Je vais vous faire une traduction. Comme le rappelle Emmanuelle Lucas dans La Croix du 4 janvier, « sur le plan théorique, deux écoles s’affrontent en effet, rappelle Laurent Lima, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Grenoble-Alpes. Le chercheur donne l’exemple de l’enseignement de l’accord du participe passé. « Un professeur tenant de “l’approche explicite” procède en trois temps : il indique le problème, énonce la règle, donne des exercices d’application. » À l’inverse, un tenant de l’approche « constructiviste » demande aux élèves d’identifier la règle eux-mêmes : « Il leur soumet des textes, charge à eux de découvrir dans quels cas le participe s’accorde ou pas. » »
Et de conclure : « Dans l’un des cas, on parie sur la force de la répétition, dans l’autre, sur l’intelligence de l’enfant. »
Rions un peu.
Soit un début de phrase tiré d’une dictée célèbre : « Quelles que soient, et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir versées à maint et maint fusiliers la douairière ainsi que le marguillier… » Et suggérez à votre enfant, ou petit-enfant, de comprendre par lui-même pourquoi « censés » est masculin pluriel, et « versées » féminin pluriel. Il y sera encore dans dix ans. Même Word n’a pas compris, et me souligne frénétiquement « censés », qu’il accorderait volontiers avec « arrhes ».
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L’orthographe française est d’une logique branlante. L’accord du participe avec le COD antéposé est une règle instituée par un poète, Clément Marot, qui s’inspirait de l’exemple italien du XVIe siècle. Quant à « amour, délice et orgue » qui sont masculin au singulier et féminins au pluriel, aucune réflexion ne vous fera comprendre que cette règle est sortie tout armée du cerveau de Vaugelas au XVIIe siècle, afin de mettre fin à l’anarchie orthographique. Cela s’apprend — comme s’apprennent les terminaisons plurielles des noms, des adjectifs et des verbes, qui ne s’entendent que fort rarement. L’orthographe d’usage n’est pas en reste : si je reprends la phrase de Mérimée citée ci-dessus, en soulignant en gras ce qui ne s’entend pas et qui doit donc s’apprendre par cœur, cela donne : « Quelles que soient, et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir versées à maint et maint fusiliers la douairière ainsi que le marguillier… »
À noter que certaines finales muettes (sur « censés », « versées » ou « maint ») s’entendent si l’on fait les liaisons. Mais fait-on les liaisons ? Et il n’y a que chez Pagnol que le bon maître fait sonner le « s » de « moutons »…
Convaincus ? On n’arrive à la correction orthographique, en français, que par l’apprentissage mécanique et l’inlassable répétition.
Y compris pour les maîtres. J’aimerais être sûr que tous les « professeurs des écoles » et les profs de collège (et les journalistes) savent que « se rappeler » et « pallier » sont des verbes transitifs, et que « après que » régit l’indicatif, et non le subjonctif comme je l’entends trop souvent.
Ce ne sont pas des détails. Le problème central de l’Ecole est la fracture entre les établissements où vont les enfants des élites auto-programmées et ceux où s’entassent les rejetons du peuple de l’abîme, comme disait Jack London. Et ne pas enseigner la langue dans ce qu’elle a de plus complexe à ces derniers participe d’un mépris massif, dont je suis bien obligé de dire qu’il est la caractéristique première des « pédagogues » et des syndicats qui les soutiennent. Enseigner la « langue de la rue » aux élèves les plus démunis, c’est les forcer à séjourner à vie dans le ghetto économique et culturel où ils sont nés.
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