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Colette Fellous: en attendant Duras

"Le petit foulard de Marguerite D." (Gallimard, 2022)


Amie de Duras, Colette Fellous nous donne aujourd’hui sur elle, avec Le petit foulard de Marguerite D, une biographie impressionniste.


Une jeune actrice déjà célèbre, que je ne nommerai pas, bénéficiant d’une reconnaissance planétaire, évoque ses rôles et dit qu’elle ne se considère pas comme une actrice. Je pense alors qu’elle pourrait jouer Duras. Parce que Duras remettait en cause le narcissisme de l’acteur, le remplaçant même par un non-acteur (Yann Andréa dans L’Homme atlantique), puis par le noir. Depardieu a retenu la leçon. Cette jeune actrice aux cheveux courts et au regard mélancolique pourrait aussi jouer Duras au théâtre. Agatha, ou une autre pièce. Sur la table basse de son salon, il y a la biographie de Truffaut, en poche, écornée, lue et relue. Et aussi Les lieux de Marguerite Duras, aux Éditions de Minuit, couverture jaunie, empreintes de doigt. Mon intuition ne m’a pas trompé. Elle jouera Duras, un jour.

Univers hypnotique

Je rentre chez moi, encore sous le charme des cernes impudiques de la jeune actrice. Dans la boite à lettres, le livre de Colette Fellous, Le petit foulard de Marguerite D. Un signe ? Bien sûr puisque nous sommes avec Duras, la médiumnique romancière. Colette Fellous en parle avec beaucoup de délicatesse, mais tout est délicat dans son livre, fragile, précaire, à l’image de Duras qui voit dans l’invisible, et qui imagine à partir de ses visions.

Colette Fellous évoque les hallucinations de Marguerite, la peur de les sentir revenir, la nuit surtout, « les choses de la nuit ». On est au cœur de la boite noire durassienne. « Elle est magnétique, écrit Collette Fellous à propos de son amie, bouleversante, se laisse submerger par elle-même, n’a pas peur, se relève, recommence. » Visions, obsessions, boue, soleil, musique. Elle les partage. C’est l’écriture répétitive et minimaliste de Duras, son univers hypnotique. On entre dans ses livres et ses films comme on entre dans une pièce où une séance de spiritisme commence. Les thèmes reviennent comme la pluie d’été.

L’amour, la douleur des femmes amoureuses, la rupture, la perte, les cris dans les couloirs, la douleur d’écrire, l’alcool, l’inépuisable douleur de tout. Elle voit ce qui est simplement vrai et qui échappe à l’homme. Longtemps je l’ai lu face à l’océan, dans le crépuscule couleur Campari.

Le fil de la complicité

Colette Fellous nous offre une biographie impressionniste de l’auteur de L’amant, prix Goncourt 1984, dans lequel « je leur ai tout mis », déclare-t-elle, frondeuse. Fellous se souvient : « Avec ce geste de la main qui montrait qu’elle avait jeté volontairement, comme à des bêtes sauvages affamées, tout ce qui était en elle, tout ce qui était épars dans ses autres livres, elle avait agencé les choses autrement et puis elle les avait offertes, si c’est ça qu’ils veulent, alors voilà, je l’ai fait. »

Il y a l’essentiel dans ce court texte. L’enfance de Duras, sa mère, le Mékong, Trouville, Yann Andréa, leur première rencontre, lui 27 ans, elle 66, Godard, Mascolo dit Outa, les robes des personnages, le bruit du sang dans nos veines, le foulard léopard noir et blanc, fil de la complicité, offert par Colette en 1987, portée par Marguerite jusqu’à sa mort en 1996, « le 3 mars, chez elle, vers 8 heures du matin. C’était un dimanche. » Quelques photos illustrent l’ouvrage. J’aime tout particulièrement celle en noir et blanc, page 41. Duras est jeune, elle est belle. La beauté de son visage étonne. Son regard est triste déjà, lointain, son sourire est doux, un peu las, légèrement moqueur. Dans le célèbre incipit de L’amant : « Très vite dans ma vie il a été trop tard. A dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. » C’est la clé de son écriture. Sa vie.

Ouverture cachée

Il se peut que la jeune actrice déjà célèbre joue « Elle », personnage d’Agatha, dans la lumière d’hiver, brumeuse et sombre, qui écoute le bruit de la mer. Son regard bleu étincelant soulignerait la force des phrases de Duras et révèlerait l’ouverture cachée sur son œuvre. M.D. à propos d’Agatha : « C’est par le manque qu’on dit les choses, le manque à vivre, le manque à voir. Par le manque de lumière qu’on dit la lumière, le manque de désir qu’on dit le désir, par le manque de l’amour qu’on dit l’amour. Je crois que c’est une règle absolue. »

C’est par le manque de Duras qu’on lit Duras.

Colette Fellous, Le petit foulard de Marguerite D., Gallimard. 112 pages

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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