Que peut-on demander à un bon film noir en 2015 ? Que peut-on demander à un genre qui a trop tendance, pour se renouveler, à aller chercher du côté de la pyrotechnie flingueuse ou du maniérisme dépouillé crasseux janséniste ou encore de la banalité surjouée dans des décors d’une médiocrité hyperbolique à visée de critique sociale ? Pour répondre à cette question, on pourra aller voir Cold in July de Jim Mickle. Cold in July joue avec les codes du genre, y compris avec les travers dénoncés plus haut. Mais comme cela est fait de manière parfaitement consciente, voire assez roublarde, l’amateur ressort comblé.
Cold in July, c’est d’abord un bon scénario. Ce n’est pas évident par les temps qui courent où les arguments des films de genre ont de plus en plus tendance à tenir sur un ticket de métro. Mais ici, en l’occurrence, il s’agit de l’adaptation d’un polar de Joe R. Lansdale, un des très bons américains du roman noir d’aujourd’hui qui promène ses personnages dans un Texas à la fois violent, plouc et attachant. Dans Cold in July, au début mais au début seulement, il est question d’autodéfense. On est en 1989, dans une de ces petites villes où même ma chaleur n’arrive pas à effacer la banalité des vies quotidiennes made in America. Un couple est réveillé la nuit par un cambrioleur. Le mari un bon gars qui exerce le métier d’encadreur dans sa boutique va chercher un flingue en tremblotant. Il est joué par un Michaël C.Hall (Dexter) doté d’une coupe de cheveux de footballeur allemand des années 80 et d’une normalité presque encombrante. Il tire un peu par maladresse sur le voleur qui va éclabousser le canapé familial et une horrible croûte au mur avec sa cervelle. On est à la limite de l’esthétique volontairement cheap du gore qui fait toujours ressortir par contraste l’horreur de la violence.
A partir de là, tout va mal se passer. Notre gentil encadreur est traité comme un héros qu’il n’a pas envie d’être, la police locale arrange le coup y compris quand le père de la victime décide de se venger. Il est ici joué par le mythique Sam Shepard qui n’hésite pas à assumer son corps vieillissant comme seuls savent le faire les grands acteurs.
Evidemment, ce n’est là que la première partie du film. Dans la seconde, il va virer à l’équipée sanglante de trois hommes, l’encadreur banal, le père de la victime qui est en fait un ancien truand mutique et, ô plaisir mélancolique, Dan Johnson (vous savez le blond de Deux Flics à Miami ?) en détective privé à stetson, éleveur de cochon qui sont partis se venger d’une manipulation dont on ne vous dira rien.
Jim Mickle, le metteur en scène, nous donne avec Cold in July un film qui est une synthèse plutôt très réussie entre l’ironie des frères Coen et le minimalisme angoissant d’un John Carpenter dont on se souvient quand on voit certaines scènes de Cold in July comme l’assaut contre le repaire des amateurs de snuff movies ou même dans la musique avec ce synthétiseur obsédant qui était aussi la marque de fabrique de l’auteur d’Invasion Los Angeles. Ce parti pris esthétique rend par exemple les fusillades particulièrement sanglantes avec des impacts approximatifs qui ne tuent jamais du premier coup et va de pair avec une forme d’humour très rentré comme dans cette scène où le couple, après le cambriolage, nettoie son salon et décide, quand même, de changer de canapé pour continuer à regarder la télé.
Il est difficile, dans le film de Mickle, de chercher autre chose que ce qu’il nous donne. Il n’est pas comme dans History of violence de Cronenberg auquel on songe aussi parfois, une réflexion sur la sauvagerie qui sommeillerait en nous tous. Il n’est pas non plus une parodie malgré quelques plans au ralenti où le réalisateur se fait plaisir, et à nous aussi par la même occasion. C’est sans doute pour cela, d’ailleurs, que Cold in July est un des films les plus intéressants de moment puisque chose devenue rare aujourd’hui, il coïncide parfaitement, malgré son caractère hybride, avec son intention de départ : donner un bon film noir, ni plus, ni moins.
En salle depuis le 31 décembre
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