Il est des leçons de journalisme que l’on ne peut donner qu’à l’unique condition de les avoir retenues soi-même. La preuve par Jean-Marie Colombani. Celui-ci vient d’être condamné, au même titre que son éditeur, devant la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, pour avoir diffamé publiquement nos « pères d’armes » Pierre Péan et le regretté Philippe Cohen, les auteurs de La Face cachée du Monde. Un ouvrage qui, rappelons-le, participa à sa chute et à celle de ses compères Alain Minc et Edwy Plenel de la direction du quotidien du soir.
Cette décision de justice intervient à la suite de la publication, mi-2013, aux éditions Plon, de Un monde à part. Dans ce livre d’entretien, Jean-Marie Colombani « raconte, nous dit-on, ses combats, ses victoires » et « confesse ses erreurs ». Sauf qu’au passage, des « erreurs », notre homme a décidé d’en attribuer aux autres. Et un peu trop généreusement.
Au détour d’un chapitre consacré au livre du duo Cohen-Péan, Colombani joue en effet le couplet de « l’enquête à sens unique » : « Le fait qu’à aucun moment les auteurs du livre ne nous aient appelés pour avoir notre point de vue accrédite cette thèse. Nous devions être abattus et n’avions pas même le droit à la parole », écrit-il. Ah ben tiens ! Voilà comment en deux phrases se faire passer pour victime et expédier à la corbeille, salement chiffonnés, l’honneur et l’intégrité de nos deux compères.
Notre « investigateur » en chef semble avoir « oublié » que Cohen et Péan ont au contraire fait leur travail. La justice en est convenue, s’appuyant notamment sur un échange de lettres. En décembre 2002, Colombani et Plenel écrivent en effet un courrier aux auteurs dans lequel ils expliquent ne pas souhaiter les « rencontrer, ni répondre à [leurs] questions. » Cohen leur répondra quelques jours plus tard en ces termes : « J’ai été désagréablement surpris de votre réponse négative à ma demande d’entretien : la transparence due aux citoyens ne saurait épargner nul pouvoir, pas plus Le Monde qu’un autre. Sachez que si votre refus de répondre peut sans doute retarder la publication de mon enquête, elle ne l’empêchera nullement. » On connaît la suite.
Colombani serait-il du genre peu précautionneux avec sa correspondance ? L’aurait-il égarée ? Notre étourdi peut en tout cas remercier Cohen et Péan qui l’avaient délicatement rangée. Oh, pas très loin : dans les annexes de La Face cachée du Monde… Ce malencontreux « oubli » lui vaut en tout cas une amende de 2 000 euros et le versement de dommages et intérêts. Mais, en matière d’honneur, l’argent importe peu. Ça tombe bien, la 17e Chambre a ordonné la meilleure des réparations : la publication du jugement notamment dans les colonnes du Monde !
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