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Cocktail de rentrée

On parle enfin des choses essentielles.


Cocktail de rentrée
Eric Neuhoff, journaliste et écrivain français, pour France 2. 17/04/09 / BALTEL/SIPA / 00578113_000050

Éric Neuhoff nous invite à son raout d’automne ; un verre à la main, l’imper de la nostalgie sur l’épaule, nous partons à la rencontre de figures disparues.


Dans la chronique comme ailleurs, il y a les parvenus et les aristocrates, les ânonneurs d’actualités et les possédés du rétroviseur, les courriéristes fatigués et les distillateurs de nostalgie. Ceux que l’on continue de lire, chaque semaine, dans le Figaro depuis tant d’années et d’autres confrères qui ont tellement de mal à écrire deux feuillets sans les plomber de prétention et d’instructions ineptes.

Pudique jusqu’à l’ascèse, secret par nature, Neuhoff tacle, amuse, ravive, lustre le passé, embellit les gloires d’antan sans corrompre son lecteur. Il ne nous embarque jamais dans des considérations pseudo-politiques ou de pesantes leçons de morale, il choisit la bifurcation, la départementale, la pirouette, la facétie aux « je sais-tout » dont Gabin se moquait en chanson. Neuhoff sait se tenir en société et devant une feuille blanche. Il lui arrive même de porter la cravate, ce qui pour un journaliste vaut mort sociale. Il est inactuel donc indispensable.

Distance rieuse

Sa distance rieuse est un gage de sincérité dans un monde qui bannit la charcuterie dans les cantines de France et les auteurs réfractaires à l’Université. Son passéisme s’érige comme le dernier Aventin d’une humanité triomphante. La modernité gluante et tapageuse le laisse de marbre, elle ne passera pas par lui ! Il s’en détache avec le sourire parfois tendre, souvent féroce du faux-blasé. Il s’écarte des meutes ahuries, inféodées à la nouveauté, pour se réfugier dans le cercle de ses figures disparues. Devant la dernière vedette en vogue, il n’est pas béat d’admiration. Il a gardé son échelle des valeurs, il ne confond pas une animatrice télé cooptée avec Romy, un écrivain asthmatique avec Blondin, une voiture électrique avec une Alfa Romeo Duetto Coda Longa.

Ce garçon a des principes. C’est pourquoi, nous sommes tous des « Neuhoffiens » de cœur et de raison. Nous avons suivi l’école de ce Monsieur Jadis qui s’habille en Monsieur Cinéma à la radio, tous les dimanches. Ce sale gosse des lettres ne vieillit pas, son écriture est toujours aussi aérienne et nimbée pourtant d’une profonde tristesse. Il a inventé ce style à double face comme s’il semblait inconsolable d’une jeunesse en fuite. Sa légèreté est un masque. Nous partageons avec lui ce sentiment de dépossession permanent. Tout est foutu, alors célébrons nos aînés et rions de nos contemporains. Ses chroniques, galets bien équilibrés, rebondissent sur l’eau et produisent une sorte de ricochet dans notre esprit. Notre mémoire bégaye et nous le remercions pour ce moment.

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Son staccato oscille entre l’ironie douce et la mélancolie acide, entre le pugilat jouissif et une forme d’abandon provincial. Il fut et demeure notre professeur qui écrit court et tape fort sur tous les orgueilleux, tous les encombrants des écrans. Avec lui, nous partons sans hésitation à Deauville, à Cahors ou à Cadaqués. Nous avons les mêmes dégoûts. Éric n’aime pas les idoles de notre époque, les acteurs poseurs et les auteurs à thèses. Il a décidé de nous convier, cet automne, à son Cocktail de saison qui vient de paraître aux éditions du Rocher. Ils sont tous là. Ils n’auraient pas raté ce raout des déclassés. Il y a « Tilli » le bourbonnais-corrézien, Morand le vénitien, Zidi, Sautet, Truffaut, Jean d’O, le Cerveau et même Françoise au volant de sa Jaguar XK, entre la Rhumerie Martiniquaise et Castel.

Le nom de Pierre-Guillaume

Que c’est bon d’être au chaud, dans ce salon lambrissé, en si belle compagnie. « The Party » est réussie. On parle enfin des choses essentielles, des trains de nuit qui arrivent à l’heure, des brasseries à nappes blanches, ça sent les rognons de veau et Habit Rouge de Guerlain. Les filles possèdent l’érotisme chaste cher à Arletty, elles portent des chemisiers en soie sauvage, un peu trop déboutonnés, les gens de la nuit ne s’en offusquent pas. Les hommes se sont débarrassés de leur loden vert au vestiaire, leurs souliers vernis brillent au vent mauvais. Les petits-fours circulent sur des plateaux d’agent. Les bons mots fusent. C’est vachard donc salutaire. Entre amis, les langues se délient, on regrette les tee-shirts « Giscard à la barre », la disparition des nanars, on s’agenouille devant Max Pécas, on évoque A.D.G et Jean-René Huguenin, on va jusqu’à emprunter la Nationale 20. On prononce le nom de Pierre-Guillaume. Et la nuit semble moins sombre.

Cocktail de saison

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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