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Contrôle de l’opinion: c’était plus simple du temps de l’ORTF!

CNews et l'Arcom : du pluralisme médiatique en 2024


Contrôle de l’opinion: c’était plus simple du temps de l’ORTF!
Le journaliste Jean-Marc Morandini avec le RN Jordan Bardella à Lyon, dans le quartier de la Guillotière, miné par l'insécurité, 24 novembre 2021 © Bony/SIPA

Alors que l’époque est marquée par une américanisation des débats et que fleurissent sur Internet des fake news, l’information demeure une ressource capitale, et un terrain d’affrontements où le pluralisme est davantage garanti par le choix offert aux téléspectateurs que par des règles de représentativité inapplicables – car ne tenant plus compte des réalités idéologiques.


Qu’est-ce que le « pluralisme » ? Notion molle, le « pluralisme » revient constamment sur le devant de la scène. Véritable mantra de la vie politico-médiatique, et pas seulement, le pluralisme semble l’horizon indépassable des sociétés plurielles. Mais qu’entend-on par-là exactement ? En saisissant la justice administrative à propos de la chaîne CNews en 2022, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a ouvert un débat qui risque peut-être de lui échapper.


En novembre 2021, RSF demandait à ce qui était alors le CSA (devenu Arcom en janvier 2022) de mettre en demeure CNews sur le fondement de la loi du 30 septembre 1986 portant sur la liberté de communication. Ce texte détermine que les chaînes de télévision doivent « assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information ». Le bureau exécutif de RSF estimait alors que le CSA-Arcom devait obliger CNews à respecter ses « obligations légales » et que la chaîne n’était désormais plus un média d’information mais d’opinion. L’Arcom ayant refusé, RSF a saisi le Conseil d’État qui s’est finalement prononcé sur les principes du contrôle exercé par l’Arcom en la matière.

Le cadeau empoisonné du Conseil d’État à l’Arcom

Rendue mardi 13 février, la décision du Conseil d’Etat présente une interprétation discutée et discutable de la loi de 1986, puisque la haute autorité administrative a ordonné à l’Arcom de « réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations ». L’innovation de la décision tient dans les critères choisis par le juge administratif pour qualifier « la diversité des courants de pensée et d’opinions ». Alors que l’Arcom ne décompte que le temps de paroles des personnalités politiques de métier, le Conseil d’Etat a affirmé que le contrôle du respect du pluralisme devait aussi s’appliquer aux « chroniqueurs, animateurs et invités » des émissions.

Sont notamment visées en filigrane des personnalités telles qu’Éric Zemmour, qui avait tardé à se déclarer candidat à la présidentielle à l’automne 2021, ou encore Philippe de Villiers désormais retraité de la politique et reconverti comme chroniqueur. Mais alors, pourquoi ne viser que CNews ? Roselyne Bachelot occupe sur BFMTV une position similaire à celle de Philippe de Villiers, par exemple, sans que grand monde ne s’en émeuve. En outre, les positions politiques peuvent évoluer avec le temps. Jacques Toubon était un homme de droite affirmé dans les années 1980, souvent directement confronté à un Julien Dray sorti du Parti socialiste et qui a glissé vers le centre au fil du temps.

Débat du jour: pourra-t-on encore débattre demain ?

De même, s’il est aisé de déterminer la sensibilité des politiques de métier, puisqu’ils sont encartés, il n’en est absolument pas de même avec les chroniqueurs et journalistes. A fortiori de nos jours, où les sujets transversaux sont légion et écartèlent le champ politique. Qui est aujourd’hui d’une gauche ou d’une droite chimiquement pures ? Qui peut dire s’il y a des points de vue de « droite » et de « gauche » parfaitement identifiables sur des questions aussi sensibles que l’écologie, les relations internationales, les mœurs ou l’économie ? Les sociétés liquides créent des cercles idéologiques rhizomatiques qui se croisent. Il est tout à fait possible d’être très à droite sur les questions d’immigration et aligné avec Raphaël Glucksman en affaires internationales. De la même manière, des partisans de la décroissance économique et écologique peuvent être de parfaits conservateurs de droite sur tous les autres sujets.

L’authentique pluralisme de 2024 ne correspond absolument plus aux critères des années 1980, désormais parfaitement anachroniques. Le Conseil d’Etat a ouvert une boite de Pandore qui pourrait entrainer une reconfiguration majeure des médias audiovisuels classiques et profiter aux plateformes numériques. Car, CNews est en effet une chaine d’information présentant une sensibilité plus proche de la « droite », comme France Inter est un média d’information du service public dont la majorité des chroniqueurs sont plus proches de la « gauche ».

L’apparition des réseaux sociaux et l’américanisation progressive du débat public, lui-même radicalisé lors de la campagne présidentielle de 2016 ayant opposé Donald Trump à Hillary Clinton, ont créé des bulles informationnelles asymétriques. L’information n’est plus un monopole d’Etat comme du temps de l’ORTF, mais bien une ressource capitale et un terrain d’affrontements où le pluralisme est garanti par le choix offert aux téléspectateurs plus que par des règles de représentativité inapplicables, car ne tenant plus compte des réalités. Le seul sujet valable qui devrait concerner les autorités en la matière est la lutte contre les fausses informations et la rétention d’informations. La composition des plateaux est du ressort des patrons de chaines et des programmateurs dans une société libérale, hors politiques de métier.




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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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