J’ai pu retrouver, cet été, le fascinant babillage de mes petites nièces, venues visiter leur tata. C’était la première fois après un réveillon passé dans la cuisine. Ces demoiselles avaient profité des confinements, couvre-feux et restrictions diverses, pour croître un tout petit peu en sagesse, pas mal en stature mais surtout beaucoup en grâce devant Dieu et devant les hommes. Leurs pouces avaient aussi sérieusement gagné en agilité. Elles étaient donc désormais au taquet et définitivement branchées worldwideweb.
Le cloud, ce paradis de l’hyperespace
Naïvement, j’eus un matin l’idée saugrenue d’interrompre leur épuisant travail manuel pour me hasarder à leur demander si elles savaient où et comment étaient stockées toutes ces photos, vidéos, stories, images, textes, tweets, posts, mails qu’elles échangeaient si énergiquement, à longueur de temps, avec tout le monde et personne. Des yeux revolvers me lancèrent le regard qui tue. Le regard destiné aux vieux : entendu, indulgent, compatissant mais aussi le regard des GretaThurnbergophiles : un coup d’œil assassin de « celleux » qui n’ont jamais utilisé leurs vendredis, comme moi à leur âge, à résoudre des problèmes de robinets, de baignoires, ou de trains qui se croisent.
Et de s’esclaffer en levant toutes les deux leurs beaux yeux au ciel : « Mais enfin, dans le cloud ! »
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J’eus alors une sorte de révélation. Le mot, divinement bien choisi, avait vampirisé la chose. L’avait sublimée, canonisée. Dans la tête de ces adolescentes ultra-connectées, le cloud n’avait pas de matérialité. Comme les anges, qu’il côtoyait peut-être, le cloud vivait sa vie dans l’hyperespace. Il ne mangeait pas, ne buvait pas, ne consommait pas d’énergie, ne polluait pas, ne produisait pas de gaz à effet de serre. Il ne faisait pas non plus la fortune d’Amazon, qui, comme tout le monde sait, ne fait que livrer des paquets.
Prêcher dans le désert
J’ai tenté de leur expliquer que plutôt que de faire pipi dans la douche et d’acheter leurs vêtements sur Vinted, il serait peut-être plus éco-responsable (et plus prudent) de ne pas dépenser une énergie de dingue pour faire conserver, par des tiers non identifiés, toutes leurs laborieuses productions, qui avaient la faiblesse de ne pas être aussi virtuelles qu’elles avaient la faiblesse de le penser. Je suis tout juste parvenue à éveiller un tout petit peu leur conscience en comparant le stockage artisanal sur une clé USB avec le stockage industriel dans les datacenters. Toutefois, j’ai quand même eu l’impression de prêcher dans le désert.
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Pas de quoi avoir le seum. Au contraire. Faites-vous plaisir les communicant-e-s fou.olle-s. Allez-y. À donf. Car, pour fournir l’énergie nécessaire au stockage de toutes ces données mondiales inutiles, à leur classement, à leur gestion, à leur mise à disposition, pour faire fonctionner et refroidir les datacenters, les anciens, les nouveaux, les à-venir, pour être number one sur ce nouveau marché et le rester, notre beau pays dispose d’un atout fantastique : ses centrales nucléaires.
Une chance et une richesse pour une France qui en a bien besoin.