À Vienne, le ministère du Climat a proposé aux volontaires un an de transport gratuit en échange d’un tatouage définitif. L’initiative suscite évidemment une vaste controverse.
C’est une petite histoire qui mêle écologisme, communication politique et les plus absurdes audaces du marketing. Elle a lieu en Autriche, pays cadenassé de montagnes et où l’on peut manger des saucisses avec une moutarde très piquante dans l’un des cafés qu’ont fréquenté à peu près en même temps Freud, Tito, Staline, Lénine, Hitler et Trotski.
T’as ton klimaticket ?
Pour encourager les Autrichiens à privilégier les transports en commun de ce pays grand comme la région Nouvelle-Aquitaine, l’État a mis en place depuis octobre 2021 le KlimaTicket. À 1095 euros par an, l’abonnement n’est pas donné, mais il permet de prendre le train et de se rendre de Vienne à Salzbourg, d’utiliser le métro de la capitale ou le tramway de la ville natale de Mozart.
Pour donner un coup de pouce à la jeunesse autrichienne et en même temps un coup de pub au KlimaTicket, la ministre fédérale du Climat et de l’Environnement, Leonore Gewessler, a lancé une initiative étonnante : les trois premières personnes à se faire tatouer lors du festival Electric Love qui se tenait, début juillet, à Salzbourg, se voyaient offrir un abonnement d’un an au KlimaTicket. Parmi les tatouages possibles : un train, une langue qui rappelle le logo des Rolling Stones avec le mot « Klima » à l’intérieur, et d’autres clins d’œil à la culture rock. Depuis, la mesure a été étendue à d’autres festivals du pays.
Gare… au point Godwin !
Quand on mêle Autriche, train et tatouage dans une même association d’idées, le risque est grand d’enflammer la twittosphère et les amateurs de point Godwin. La mesure suscite la polémique au sein des médias du pays, de l’opposition et d’une partie des jeunes gens qui considèrent être la cible un peu facile d’une campagne politique jugée cynique. Une députée du parti libéral NEOS, Henrike Brandstötter, s’écrie: « De l’argent pour de la publicité sur la peau – qui plus est de la part d’une ministre – révèle une image de l’être humain qui dépasse l’entendement ». Un peu avant, elle précise: « J’en sais beaucoup sur les tatouages douteux »; voilà qui aiguise notre curiosité…
On peut se demander si la députée libérale n’en fait pas un peu trop. Après tout, si un festivalier accepte de se faire tatouer, c’est bien sa liberté. L’opération a quand même mis en place des conditions: il faut avoir plus de dix-huit ans, et les séances de tatouage se font en plein jour, c’est-à-dire à une heure où l’on est censé ne pas avoir bu au point de commettre un acte irréparable. Sait-on jamais, sous l’effet de la bière Heineken ou de la vodka Absolut (deux des sponsors du festival de Salzbourg), le jeune Autrichien lambda pourrait se laisser aller et accepter de se faire tatouer des logos à la gloire d’une ministre écologiste, geste qu’il regrettera peut-être toute sa vie…
Évidemment, on aura du mal à ne pas voir dans cette affaire cocasse la trace d’un certain cynisme politique. Leonore Gewesseler est d’ailleurs pressentie pour conduire la liste Die Grünen (l’équivalent de notre EELV) aux élections européennes de juin 2024. Quand le scrutin arrivera, la gratuité d’un temps sur le KlimaTicket sera presque arrivée à son terme; les tatouages, eux, seront toujours sur les avant-bras, les pectoraux ou pourquoi pas les fesses de nos jeunes Autrichiens fans de musique électronique. Il est quand même permis de se mettre à rêver qu’une telle opération voit le jour en France: pourquoi ne pas créer un badge qui permette de voyager gratuitement de Biarritz à Calais en échange d’un tatouage à la gloire de René Dumont ou de Sandrine Rousseau ?