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Climat: les missionnaires de l’Apocalypse

Le réchauffement climatique n'est plus un objet de réflexion, mais celui d'une foi apocalyptique


Climat: les missionnaires de l’Apocalypse
Rassemblement d'activistes du World Wildlife Fund (WWF) lors de la COP 16 à Cancun, Mexique, 5 décembre 2010. ©Eduardo Verdugo/AP/SIPA

Depuis quelques années, le réchauffement climatique n’est plus un objet de réflexion, ni même d’inquiétude rationnelle, mais celui d’une foi apocalyptique. A longueur de pétitions moralisatrices, les adorateurs de la Terre nous somment d’apprendre à vivre sans brûler de carbone. Et excommunient les déviants. 


La fin du monde approche et c’est de votre faute. Toutefois, si vous faites suffisamment pénitence, l’humanité sera peut-être épargnée. Ce message, psalmodié sans relâche par d’innombrables prophètes et, en prime, par d’insupportables enfants de chœur, a acquis force de vérité révélée. Il est décliné dans d’innombrables vidéos, où youtubeurs et célébrités rivalisent dans la niaiserie écolo. Face à une menace aussi radicale, il n’y a ni droite ni gauche, ni jeune ni vieux, ni puissant ni faible. L’urgence est telle que Pierre Arditi et Alain Delon pétitionnent ensemble – sous la houlette de Juliette Binoche (qui a oublié les Palestiniens) et de l’astrophysicien Aurélien Barrau. Dans un texte publié en septembre 2018, quelques jours après la démission de Nicolas Hulot, une impressionnante palanquée de stars françaises et mondiales (de Jane Campion à Wim Wenders en passant par Jude Law, David Cronenberg et Nana Mouskouri) et des scientifiques de toutes disciplines (dont un écologue qui ne doit pas être un spécialiste de l’école) évoquent « le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » : « Nous vivons un cataclysme planétaire. Au rythme actuel, dans quelques décennies, il ne restera presque plus rien. Les humains et la plupart des espèces vivantes sont en situation critique. Il est trop tard pour que rien ne se soit passé : l’effondrement est en cours. La sixième extinction massive se déroule à une vitesse sans précédent. Mais il n’est pas trop tard pour éviter le pire. »

Autant prier pour l’éradication du cancer

Cataclysme, effondrement, extinction massive, les beautiful people ne lésinent pas sur le superlatif qui fait peur. Ils exigent en conséquence que la lutte contre le péril climatique devienne la priorité absolue de tous les gouvernements. En plus de la « réorganisation de la société sur des bases de justice et solidarité pour nous et pour la planète », les pétitionnaires demandent « une fiscalité carbone juste, efficace et redistributive, des mesures sociales et écologiques facilitant le passage aux alternatives permettant de mieux vivre, la fin des énergies fossiles et le développement des parcs éoliens et solaires, un plan de formation massif dans les secteurs d’avenir, surtout auprès des plus précaires, la fin de l’impunité des multinationales, lobbies ou groupes de pression climaticides (dans les secteurs bancaires, énergétiques, agricoles…) ». À ce niveau d’incantation, autant prier pour l’éradication du cancer et allumer des cierges pour faire baisser la température terrestre.

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Les adorateurs de la Terre subodorent cependant que ce monde merveilleux n’adviendra pas dans la douceur et le dialogue, aussi somment-ils les dirigeants de prendre des mesures « potentiellement impopulaires ». Potentiellement impopulaires, tu parles, autant abolir la démocratie tout de suite. Si on prend au sérieux leurs exigences, il s’agit de changer immédiatement et de fond en comble nos comportements énergétiques et d’apprendre à faire tourner nos économies et nos sociétés sans brûler de carbone pour– l’objectif affiché par les militants et les associations, qui fantasment de remettre la planète dans l’état où elle était avant la révolution industrielle, est désormais de diviser d’ici 2050 les émissions par huit et non par quatre comme le prévoit l’accord de Paris – que les gouvernements, entre contrainte budgétaire et grognent sociale, peinent à atteindre. Et comme tous les spécialistes sont au moins d’accord pour observer qu’en l’état des connaissances et des technologies, les énergies renouvelables peuvent à peine servir d’appoint, cela suppose que les bons peuples acceptent de renoncer aux merveilles de la fluidité, de la mobilité et de la flexibilité qu’on leur vante avec force depuis des années. Retour au local, au circuit court, au voisinage. Les stars, bien sûr, devront continuer à voyager, ne serait-ce que pour pouvoir divertir les ploucs sédentarisés, condamnés à manger des topinambours de leur jardin et à pédaler 25 kilomètres pour aller au boulot – s’ils ont la chance d’en avoir un. Comme l’expliquent Bertrand Alliot (pages 48-51) et Loïk Le Floch-Prigent (pages 54-57), le changement radical que les prophètes du climat appellent de leurs vœux serait tout simplement insupportable socialement et culturellement. Cela ne signifie nullement qu’il faille rester inactif. Mais à prétendre sans cesse qu’il faut tout changer, on aboutira à ce que rien ne change.

Greta Thunberg, nouveau dalaï-lama

L’un des articles les plus prisés du catéchisme climatique est qu’il suffit d’avoir de la volonté politique. Alors que « la survie de l’espèce humaine est en jeu à une échelle de temps très courte : la nôtre », assène Philippe Torreton dans Le Monde avant de fustiger « l’inertie mortifère de nos dirigeants », le 19 décembre, on retrouve Binoche, avec Cotillard et une chatoyante galerie de people français, dans « l’Affaire du siècle », pétition en ligne lancée pour soutenir quatre grosses boutiques de l’environnement qui assignent l’État en justice pour non-respect de ses obligations climatiques – qui consistent à diviser nos émissions de CO2 par huit d’ici 2050.

Des journalistes qui, la veille, étaient confits en dévotion pour les gilets jaunes bouffeurs de diesel, annoncent en ronronnant qu’avec 2,2 millions de signataires, elle bat tous les records, comme si ce militantisme en chambre avait la moindre incidence. Fin février, François de Rugy, pas rancunier, salue « cette mobilisation historique » et invite 170 signataires à dialoguer. Avec le président, il reçoit également la petite tête à claques – et à nattes – suédoise qui, de Davos à Bruxelles en passant par Katowice – où s’est déroulée la dernière conférence de l’ONU pour le climat –, fait la leçon aux grands de ce monde. En vrai, avec sa gaucherie et son genre taiseux et buté, Greta Thunberg est plutôt marrante. Le spectacle de sommités l’accueillant comme un chef d’État – ou comme le dalaï-lama –, l’écoutant avec déférence et l’encourageant dans sa certitude de savoir ce qu’il faut faire est pour le moins affligeant.

Jeunes et bons

Le salut viendra de la jeunesse, s’émerveillent des commentateurs extatiques depuis que la jeune Suédoise (et quelques adolescents belges) a appelé ses camarades européens à sécher les cours pour le climat tous les vendredis après-midi. Ils sont jeunes, beaux, gentils, et veulent le bien de tous. Comment pourrait-on résister à tant de grands yeux confiants qui vous conjurent de sauver le futur ? Que des jeunes s’enflamment pour cette championne des bonnes causes et pensent en plus détenir toutes les vérités à son sujet, c’est le minimum syndical. Que des adultes les câlinent en faisant semblant de les écouter, c’est passablement agaçant. Cela dit, si les manifestations du vendredi rameutent plusieurs milliers d’ados en Belgique, en France, la mobilisation a culminé à un petit millier de jeunes le 22 février, jour de la venue de Greta Thunberg. Ce détail importe peu aux commentateurs qui adorent le côté « croisade des enfants ».

C’est encore la faute du mâle blanc

Ne vous énervez pas. Nous ne croyons nullement que le réchauffement climatique soit une invention du Mossad ni une lubie de bobo. Le consensus sur son existence ne devrait pas interdire d’écouter ceux qui contestent la doxa alarmiste sur les causes ou sur les conséquences prévisibles de ce changement. Que l’on refuse de discuter une réalité mesurable et admise par tous est une excellente chose, mais le domaine de la vérité incontestable ne saurait être étendu aux hypothèses pour le futur, seraient-elles validées par une majorité de scientifiques. Il est tout de même paradoxal qu’une question complexe, qui relève à la fois de la science et de la politique, soit arraisonnée par une pensée magique qui emprunte son lexique, ses codes, et même son iconographie – comme le montre notre photo de une – au champ de la croyance plutôt qu’à celui de la raison. Le réchauffement climatique n’est plus un objet de réflexion ni même d’inquiétude, mais celui d’une foi apocalyptique, dont les fidèles semblent toujours chantonner : « Sauvez, sauvez la Terre, au nom du sacré vert. »

Or, la dévotion congédie la discussion. Comme celles qui l’ont précédée, la religion du climat tient le scepticisme pour un crime. Elle traque les hérétiques comme elle traquait hier le fasciste. Et coup de chance, ce sont souvent les mêmes, triomphe Mediapart dans un article d’anthologie. « Trump et Bolsonaro ne sont pas les seuls à vouloir démanteler la protection de l’environnement : en Europe, des lobbies et des populistes de droite disposant d’excellents réseaux s’efforcent de sauver l’énergie fossile au XXIe siècle », peut-on lire dans la présentation. Les diplomates et les enfants qui se battent courageusement pour le climat doivent donc affronter des adversaires maléfiques que Mediapart qualifie de « négateurs du bouleversement climatique » : « Ils occupent des postes de responsabilités dans des groupes de pression à Bruxelles, siègent en tant que députés conservateurs et libéraux au Parlement européen, dirigent des associations professionnelles néolibérales et déterminent la politique climatique de tous les partis de droite en Europe. Leur point commun : ce sont principalement des hommes de plus de 60 ans. » Sans surprise, revoilà le vieux mâle blanc, fauteur de tous les troubles, y compris écologiques. D’ailleurs, « négateurs », ça ne vous rappelle rien ? La sémantique et la phonétique indiquent bien que ces salauds sont à mettre dans le même sac que les négationnistes d’Auschwitz ou les complotistes du 11-Septembre. Il est curieux que personne n’ait encore proposé une loi pénalisant toute mise en cause de l’urgence climatique ou réprimant la climatophobie cachée derrière le climatoscepticisme.

Le climat contre la diversité

Le climatosceptique, qui est parfois complètement délirant d’ailleurs, figure donc en bonne place dans la liste des salauds à abattre. Au printemps dernier, beaucoup se sont émus de la nomination, à la tête de la NASA, de Jim Bridenstine, « personnage contesté » qui, selon L’Obs, « avait notamment déclaré en 2013 que les températures mondiales avaient cessé d’augmenter il y a dix ans ». Heureusement, les égarés peuvent revenir à la vraie foi. Bill Nye, une figure populaire de la vulgarisation scientifique aux États-Unis, a assuré que Bridenstine « acceptait désormais le changement climatique et que les humains y jouaient un rôle ». Malheureusement, il n’est pas allé jusqu’à l’autocritique publique.

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Parmi les spécialistes interrogés par Gil Mihaely dans Causeur ce mois-ci, seul François Gervais est considéré et dénoncé climatosceptique. Mais tous mettent l’accent sur les très grandes incertitudes qui pèsent sur les prévisions, les plus alarmistes correspondant seulement à l’un des nombreux modèles établis par le GIEC sur le rapport entre émissions et réchauffement. Or, non seulement, on exige du public qu’il accepte des hypothèses comme des vérités révélées, mais on prétend lui interdire d’examiner les arguments de tous les dissidents, y compris quand ils ont une légitimité scientifique. Bien au-delà du climat, c’est toute la politique de l’environnement qui semble échapper à la raison scientifique. Avant de réclamer une révolution que personne n’est prêt à mettre en œuvre, commençons par revenir au bon sens, par exemple en pratiquant une agriculture soucieuse des sols et de la biologie, plaide en substance le biochimiste George Oxley (pages 58-61). Erwan Seznec montre (pages 72-73) ainsi que la dangerosité cancérogène du glyphosate, qui est en France une cause si entendue que le gouvernement a décidé d’en interdire l’utilisation plus tôt que prévu, est largement contestée hors de nos frontières, y compris par l’OMS. Peggy Sastre examine pour sa part (pages 66-67) l’idée, applaudie dans tous les raouts écolos, selon laquelle on peut lutter contre le réchauffement par la reforestation. À l’appui de ses doutes, elle cite Nadine Unger, professeur de chimie atmosphérique à l’université d’Exeter (Royaume-Uni) : « Scientifiquement parlant, dépenser dans l’exploitation forestière les précieux dollars de la lutte contre le changement climatique est une entreprise à haut risque : nous ne savons pas si cela va refroidir la planète et nous avons de bonnes raisons de craindre un effet radicalement inverse. » Ce qui a valu à la scientifique des menaces de mort et des réactions outrées de ses collègues. On ne prétendra pas trancher ce débat. Reste que des savants qui ne savent défendre leur point de vue que par l’anathème et la diabolisation de l’adversaire sont peut-être moins sûrs de leur coup qu’ils ne le disent. De plus, il est curieux de vouloir sauver la diversité du vivant et de se soucier si peu de celle des idées.

Les Rien-pensants

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Mars 2019 - Causeur #66

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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