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Clément Bénech, un grand dysfonctionnement

Clément Bénech publie "Un vrai dépaysement" (Flammarion, 2023)


Clément Bénech, un grand dysfonctionnement
L'écrivain Clément Benech © Céline Nieszawer / Flammarion

Deux catégories d’enseignants peuplent l’Éducation nationale. Il y a ceux qui basiquement, enseignent quelque chose. Et puis ceux qui trouvant cette perspective trop conformiste ou ennuyeuse, enseignent autrement voire enseignent autre chose que la discipline dont ils sont spécialistes. Ces derniers « innovent », mettent leurs élèves en îlots, lancent des « projets » de « classes éclatées », trouvent le plus grand sens « à la fusion entre le sport et le français », organisent des escape games, nouent des partenariats transcontinentaux. Professeurs sans frontières pour les plus audacieux, ils rêvent d’enseigner en territoires exotiques, en quête d’inconnu, confondant l’Éducation nationale et l’agence de voyages Nouvelles frontières, Jules Ferry et Frédéric Lopez.

Neuneu de vipères

Romain d’Astéries, anti-héros d’un Vrai dépaysement, le dernier roman de Clément Bénech, appartient résolument à la seconde catégorie. Jeune professeur de Français, sa vocation contrarie un peu ses parents bourgeois et bordelais qui y voient un déclassement. On connait bien ce milieu social grâce à François Mauriac et son Nœud de vipères, roman qui s’intéressait à une famille d’atrabilaires peccamineux, épuisée par l’intrigue, la jalousie et la méchanceté.

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Romain d’Astéries a quelques comptes à régler avec sa propre famille. En crise d’adolescence tardive, il a une sainte horreur de tout ce qui lui rappelle son père et son origine : « Bordeaux ville d’esclavagistes, ville de bourgeoisie satisfaite » ! Il cherche à compenser sa grande honte par « une grande idée ». Moitié Candide, moitié Trissotin, il a lu « tous les grands penseurs de l’éducation ». Il s’enthousiasme devant leur vocable comme les précieuses de Molière devant la maitrise du grec. Le langage est envisagé comme « un acte locutoire » : les INSPE (instituts de formation des enseignants) renomment bien les ballons « référentiels bondissants » et les images projetées en classe sur diapositives « documents iconographiques ». Romain veut donc enseigner autrement et aussi enseigner ailleurs. Bonne nouvelle : il doit être affecté en Guyane, où il pense que des élèves délaissés par la République ont grand besoin de lui. Patatras ! un bug du logiciel l’affecte à l’académie de Clermont-Ferrand, dans un collège d’Auvergne, où il éduquera des petits Français ordinaires extraits de la ruralité.

Madame Combes, l’école du monde d’avant

Là-bas, le réel se rappelle à lui en même temps que sa hiérarchie. Madame Combes, la directrice du collège, est très vieille école. Le portrait de Jules Ferry trône dans son bureau. Sceptique devant ses innovations, elle lui rappelle qu’il est là pour « enseigner le français » et se dit plus attachée à « Molière, Flaubert ou Baudelaire » qu’au « skateboard dans l’œuvre de Ronsard ». Elle prévoit de fêter le centenaire de l’établissement scolaire avec la Marseillaise, une lecture de l’Histoire de France de Lavisse et des élèves habillés en blouse grise… Une célébration « prétexte à une immense autocélébration réactionnaire » selon Romain, alors que lui-même réagit à tout : aux ordres de sa hiérarchie, au spectacle d’élèves lambdas qui attendent « le bec entrouvert qu’on vienne y déposer un vermisseau de savoir », à ses collègues dont il juge la vocation enseignante trop tiède…

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Comme le roman Un grand dépaysement, de nombreux essais et pamphlets se sont intéressés à la formation des enseignants ces dernières années, voyant dans les dérives du pédagogisme le facteur principal du dysfonctionnement de l’Éducation nationale. La Fabrique du crétin, de notre chroniqueur Jean-Paul Brighelli, notamment, avait marqué les esprits. Clément Bénech ne semble pas contredire le constat de son aîné. Mais pour le romancier, l’Éducation nationale est surtout ridicule. Comme chez les alcooliques anonymes, le personnel auvergnat accueille leur nouveau collègue d’un magistral « bonjour Romain ». Le roman raconte la déliquescence de toute l’institution. Les professeurs n’enseignent plus, les logiciels d’affectation buguent, et les carreaux en verre mosaïque sur les murs du collège déforment la tronche de la principale et en exagèrent les traits.

L’école, fabrique de l’homme nouveau

L’auteur ridiculise tout ce petit monde en même temps qu’il le comprend. Romain est un fanatique. Enseignant dans l’école laïque, le vocabulaire qu’il emploie est paradoxalement religieux. Il tient à la pédagogie comme à un dogme. Il est aussi en quête d’une forme de pureté originelle, il cherche un public qui n’ait pas été « entaché par les souillures de l’ancienne pédagogie » – comme Saint Paul parlait des « hommes anciens » souillés par le péché originel avant la venue sur terre du Christ rédempteur.


Si la souillure des chrétiens, c’est la faute d’Adam racontée dans la Genèse, la souillure dont parle Monsieur d’Astéries, c’est l’obéissance et la docilité intellectuelle (de l’élève passif, besogneux, asservi au maître), héritage de l’école d’autrefois qui imposait l’uniforme, reconnaissait l’autorité et valorisait le par cœur, la discipline et les cours magistraux. L’homme nouveau des premiers chrétiens, c’était le disciple du Christ, qui l’imite dans son humilité et son amour du prochain. L’homme nouveau, pour notre jeune missionnaire, c’est l’Autre: « J’étouffe, je n’en peux plus de cet entre-soi, je veux un entre-autres… » Autre qu’il cherchera partout en Auvergne, et qu’il finira par trouver dans la figure d’une jeune Roumaine qui répond à son attente d’exotisme… Plus classique, peut-être moins ridiculement ambitieuse, Madame Combes, la directrice, pense elle aussi créer par l’école un nouvel homme: le bon citoyen de la République.

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Clément Bénech, en disciple de Benoit Duteurtre, choisit la farce pour ce nouveau roman, sans forcément exagérer la réalité, laquelle aura pour les lecteurs familiers de l’institution scolaire, un air de déjà-vu… Au risque de mentir sur le titre, Un vrai dépaysement nous dépayse finalement moins qu’il nous désabuse !

Un vrai dépaysement, de Clément Bénech, Flammarion, 304 pages. Flammarion

Un vrai dépaysement

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