Philippe Bilger, au travers d’une déclaration de Clément Beaune, souhaiterait que l’homosexualité soit banalisée, même si la tentative lui semble perdue d’avance.
Clément Beaune est un homme qui m’a toujours intéressé au sein des soutiens et des fidèles d’Emmanuel Macron. Sa carrière est brillante et il faut lui reconnaître du courage : lors des dernières élections législatives, à Paris, il n’a pas fui un combat difficile et il a gagné. Ministre, il s’obstine à sauvegarder, lui-même venu de la gauche, cette part du macronisme.
Sa détestation viscérale du RN l’a conduit un jour à déclarer qu’il n’aurait aucune hésitation à privilégier Jean-Luc Mélenchon s’il avait un arbitrage à opérer entre Marine Le Pen et lui. Pourquoi pas, même si une récusation des deux aurait complu à beaucoup…
Au-delà de ses attitudes politiques et de ses ambitions pour Paris, qui cherchent à le poser comme le personnage singulier qu’il est, à la fois estimables, sincères mais parfois agaçantes, j’aime les confidences intimes dont il ne s’est jamais privé sans en abuser et qui l’ont incité à révéler son homosexualité. J’ai apprécié qu’il n’ait jamais dissimulé ce qu’il avait éprouvé et comme rien n’avait été facile pour lui à la suite de cette affirmation.
Récemment il a fait avancer le débat sur cette question si personnelle en déclarant : « Je ne revendique rien mais je voudrais que ce soit aussi banal que possible ». Ce voeu est tellement juste qui voudrait que les orientations intimes de chacun, aussi différentes qu’elles puissent être, ne soient pas traitées de manière inégale dans l’espace public. Les majoritaires sans y insister, les autres en y portant attention.
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La notion de banalité est pertinente si je l’interprète bien. Elle fait sortir l’homosexualité d’un régime dérogatoire où elle était magnifiée par principe ou odieusement salie.
Avant de tenter d’expliquer pourquoi cette banalisation souhaitée par Clément Beaune n’est pas pour demain si elle arrive jamais, je voudrais défendre ceux qui, sans jamais tomber dans la moindre homophobie, ne peuvent s’empêcher de ressentir une différence, un saisissement face à des pratiques auxquelles ils ne sont pas habitués dans leur conception du monde et de la vie.
Cet étonnement demeurant dans le for intérieur ou s’exprimant sans haine n’est pas une stigmatisation mais seulement un manque d’accoutumance de générations pas encore adaptées au nouveau logiciel des mille figures de la diversité sexuelle de notre temps.
Je continue par ailleurs à déplorer que notre lutte contre les propos et les actes homophobes, malgré la dénonciation permanente, politique et médiatique, de l’homophobie, soit chaque jour vouée à l’échec puisque leur nombre augmente. Au point qu’on a le droit de se demander si certaines personnalités ou certains groupes, pour toutes sortes de motifs, ne sont pas stimulés par les interdictions au lieu d’en être entravés. Ce paradoxe douloureux qui ne cesse d’opposer la vigueur de l’opprobre éthique et de la tolérance obligatoire à la réalité concrète des insultes, violences, humiliations et agressions.
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C’est d’abord à cause de cette minorité bête et agissante, invoquant sa virilité ordinaire tel un prétexte pour s’en prendre à qui ne lui ressemble pas, que l’aspiration à la banalisation de l’homosexualité manque son but. Il y aura toujours une frange pour laquelle le droit à la différence – quel que soit le sentiment suscité par cette dernière – sera lettre morte au profit de la bonne conscience de frapper qui n’est pas comme vous. Impression d’autant plus insupportable que cette hostilité renvoie probablement à une extrême fragilisation de soi. Haïr l’homosexualité est, pour quelques-uns, d’une certaine manière se rassurer soi-même.
Mais ce n’est pas porter atteinte à la cause homosexuelle et au combat que ses militants (non idéologues et délirants) mènent que de soutenir qu’il existe aussi chez un certain nombre d’homosexuels un refus de la banalisation. Je n’ai pas besoin de prendre seulement l’exemple de Dominique Fernandez fustigeant les homosexuels pour leur envie de normalisation, car ils sont nombreux, ceux qui tiennent à leur place à part et souhaiteraient être à la fois remarqués et laissés tranquilles.
Certains, j’en suis sûr, sont tellement persuadés de cette impossible banalisation qu’ils préfèrent se camper dans une sorte de dissidence constante aux antipodes, si j’ai bien compris, de la volonté d’un Clément Beaune.
Celui-ci, s’il peut être contesté comme personnalité publique et comme ministre – il a tout sauf une charge commode : il espérait du « lourd » et il l’a eu – mérite en revanche d’être salué pour ce qu’il vit, assume, défend et cherche à banaliser.
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